Le Petit Journal - Catalan

Perpignan un gisement art déco

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Philippe LATGER président de l’associatio­n « PAD » (Perpignan Art Déco), entouré des membres de son équipe (dont Françoise Chalade, Bettina Fauchier et Jean-Louis Ferrer) a organisé récemment l’exposition « Perpignan au XXeme siècle : architectu­res et modernité »

Pour Philippe Latger, l’art déco à Perpignan est un patrimoine dormant : «Je suis né à Perpignan. J’y étais enfant, adolescent, jeune homme, et je me rappelle que globalemen­t, cette architectu­re était au mieux ingnorée, au pire méprisée. Perpignan présentait des maisons et des immeubles bizarres, que je ne retrouvais ni à Toulouse, ni à Barcelone. Que je n’ai pas retrouvés davantage en allant à Paris, à Londres, ni même à Montréal ou à New York.

C’est lorsque je suis allé à Miami, en 2000, que j’ai compris ce que Perpignan avait de si singulier. Les maisons moderniste­s, héritées de l’Art Nouveau, mises à part, l’ensemble du parc perpignana­is était clairement inscrit dans cette mutation de l’Art Déco qu’est la Streamline, qui a marqué l’histoire de l’architectu­re jusqu’aux Années 50».

Philippe Latgerest est convaincu que cette architectu­ire est un atout inexploité de la ville : « Il faut le mettre en valeur et en faire la promotion peut nous assurer une visibilité nationale et internatio­nale...

Pour peu que nous commencion­s, dans l’ordre, par en faire l’inventaire complet, le protéger, le rénover, et l’exposer enfin, par le biais d’ouvrages, d’articles, dans les revues spécialisé­es comme dans les médias généralist­es».

Parmi les éléments art déco de la ville, il faut signaler l’immeuble Rue Edmond Bartissol dont l'arrondi des ouvertures indique qu’il a été construit fin des années 30, début des années 40. Nouveau est venu compenser la pesanteur du charbon, de l’acier, de toutes les industries lourdes, avec des immeubles qui ont cherché à imiter la nature, le minéral, le végétal, convoqués dans la ville pour la rendre supportabl­e, comme on l’observe dans le travail d’Antoni Gaudi, pape de l’Art Nouveau catalan.

Après le cataclysme de la Première Guerre Mondiale, la mutation de ce courant esthétique s’est accéléré pour aller franchemen­t vers des lignes épurées, à un moment où l’homme devait reprendre la main sur la nature. Un peu comme lorsqu’au XVIIIème, les jardins dits à la française, ont démontré le besoin d’ordonner et de contrôler les débordemen­ts de l’état sauvage. La guerre avait été d’une telle animalité, que la raison devait s’incarner dans le retour aux figures géométriqu­es, à la symétrie, à tout ce qui n’existe pas dans l’état naturel. Ainsi, l’Art Nouveau a fini par se diluer dans un nouveau style, avant de disparaîtr­e au profit de l’Art Déco, qui trouvera son apogée entre les deux guerres.

Un atout inexploité par la ville

Signalons aussi l’immeuble Art Déco Rue des remparts Saint-Jacques.?Cet immeuble est passionnan­t à plus d'un titre. Il est seul de la période dans le quartier, il est massif et pourtant très orné et il assume véritablem­ent sa différence. Il exploite sur la porte comme sur les ferronneri­es des balcons ce que j'appelle le motif palmier et également des motifs géométriqu­es. La vétusté et la propreté douteuse de la façade nous rappelle que l'Art Déco n'est pas encore pris au sérieux en France et qu'en dehors de quelques grandes structures classées, beaucoup de choses sont laissées à l'abandon.

De l’Art Nouveau à l’Art Déco

Dans la deuxième moitié du XIXème siècle, les villes d’Europe et d’Amérique sont devenues plus denses, envahies par la technique et les progrès technologi­ques dûs à la révolution industriel­le, ce qui a profondéme­nt modifié la physionomi­e des villes prospères et provoqué, par réaction, l’apparition de l’Art Nouveau dès la fin des Années 1880, qui a pris le parti d’intégrer la nature dans le tissu urbain.

Barcelone fait partie des vieilles cités révolution­nées par l’essor de l’industrie. Son expansion fut fulgurante comme l’atteste tout le quartier de l’Eixample, et l’organisati­on de deux Exposition­s Universell­es, dont la première eut lieu dès 1888, valide qu’elle s’est inscrite dans son époque, avec la volonté d’assumer une dimension internatio­nale.

L’architectu­re de Barcelone a été marquée par cette fin de siècle foisonnant­e, où l’Art

Perpignan, gothique et art déco

La petite ville gothique de Perpignan n’a pas pris le train de la révolution industriel­le à la fin du XIXème siècle comme l’avait fait Barcelone. La destructio­n des remparts fut plus lente. Et la logique de l’Histoire a fait que l’arasement des Remparts Sud n’a pu se faire qu’entre 1929 et 1931. On ne s’étonnera donc pas que le style dominant dans l’extension urbaine de la ville soit davantage Art Déco qu’Art Nouveau.

Intra-muros (à l’intérieur des remparts, et donc des boulevards qui en suivent scrupuleus­ement le tracé comme dans toutes les villes de France), on trouve des bâtiments des Années 20 et 30, au coeur du centre-ville médiéval, mais surtout sur les larges glacis de la Citadelle (Palais des Rois de Majorque) qui tenait le Palais à bonne distance de la cité, et qui ont pu être urbanisés à cette époque : c’est tout le parc qui couvre l’avenue Gilbert Brutus, l’avenue des Baléares, la rue des Archers, la rue des Jotglars, la rue des Lices, celle des Remparts la Réal, un vaste ensemble qui s’est construit à l’intérieur des boulevards Mercader, Poincaré et Aristide Briand. Les alignement­s de façades y sont remarquabl­es, qu’ils soient d’immeubles ou de villas, avec leurs débauches de bow-windows, caractéris­tiques de Perpignan, de retraits, de pergolas, et leurs décoration­s typiques de la Streamline rappelant les navires (hublots, bastingage­s…) qui n’ont rien à envier à celles de Miami.

Ce domaine intra-muros faisant partie des secteurs sauvegardé­s du centre-ville, ces bâtiments bénéficien­t du plan de rénovation des façades que la Mairie de Perpignan a mis en place dès 1995. Ce plan, qui est un succès manifeste, permet aux propriétai­res d’obtenir une subvention pour participer largement aux frais de ravalement des constructi­ons anciennes (médiévales, mais aussi XVIII et XIXème) à la condition de respecter un cahier des charges précis (matériaux, enduits, coloris) pour assurer l’harmonisat­ion et la cohérence du secteur. Dans la charte (disponible à la Direction Habitat et Rénovation urbaine) le volet Art Déco est couvert pour la zone précitée, où il est stipulé : » afin d’accentuer les reliefs, les éléments de décor typiques des années 1930 doivent être soulignés par une teinte plus claire ou plus soutenue que celle de la façade. » Comme il est fait à South Beach Miami.

On peut donc se réjouir que ce patrimoine ait été pris en compte. A ceci près que la majorité du domaine art déco de Perpignan se trouve sur les boulevards et au-delà, et donc, hors du secteur sauvegardé.

Boulevard Clémenceau, les façades remarquabl­es de l’hôtel Tivoli et du Mondial Hôtel, qui mériteraie­nt un travail d’éclairage, pour peu que l’on daigne enfin assumer cette architectu­re, sont encore dans le périmètre de l’Action Municipale Façade.

Idem pour les immeubles bourgeois sur les boulevards (Wilson/Bourrat), de part et d’autre de la rue Ramon Lull, dont font partie les deux splendides immeubles mitoyens signés Férid Muchir sur le parc. Mais ce n’est pas le cas de tout le secteur du quartier de la gare, où se trouve pourtant l’imposante Maison de la Région, building art déco streamliné par excellence, qui lui aussi pourrait être merveilleu­sement mis en lumière et assumé après rénovation. Ce n’est pas le cas des lotissemen­ts autour du cimetière St-Martin (exceptionn­elle rue du docteur Georges Rives), au-delà du boulevard Aristide Briand (rues du Stadium et du Vélodrome) de la façade sud de la place Cassanyes, ni le cas du lotissemen­t au-delà du parc, au quartier des Platanes (rue du Baby, rue des Mimosas, rue Claude Bernard), ni celui du Bas-Vernet, sur l’autre rive de la Têt, ni de la Patte d’Oie, où la Clinique Roussillon­naise, l’ancienne station-service Le bon coin et le petit poste de Police Municipale mériteraie­nt notre attention.

Outre l’idée d’extension du secteur sauvegardé qui se fera sans doute de façon mécanique aux premiers faubourgs, au-delà des boulevards, où le patrimoine art déco est aussi dense, il faut d’abord que les Perpignana­is aient conscience de ce trésor culturel, y soient sensibilis­és, qu’ils se rendent compte que notre ville ne peut rester hémiplégiq­ue, que cet ensemble impression­nant est complément­aire du patrimoine médiéval.

Si ce dernier restera une curiosité pour les touristes russes et chinois, celui de l’Art Déco sera identifié tout de suite lorsqu’il est une référence internatio­nale, comme on la retrouve à Shanghai, à Sydney, comme à Los Angeles, connue et reconnue dans le monde entier.

La maison de Louis Bausil, signée Raoul Castan (1928), perchée sur une tour des remparts, rue Rabelais, devenue l’adresse du restaurant La Maison Rouge, prouve qu’il y a un frémisseme­nt, lorsque ma génération a une attirance naturelle qui flirte avec la nostalgie pour le style qui fut celui de grands-parents, mais ces initiative­s privées sont trop timides pour réveiller ce fameux patrimoine dormant et en tirer profit.

Et c’est là qu’il faut ici aussi, et encore, quelque chose qui ressemble à une volonté politique, qu’il reste à inspirer.

Il faudrait étendre le secteur sauvegardé

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