Le Petit Journal - Catalan

Du haut de ses remparts

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Perché dans le ciel de Collioure, le Fort Saint Elme révèle la beauté multiple du paysage catalan. Sentinelle des Albères, la citadelle fut toujours convoitée alors Jean-Claude Ducatte se défonce pour son château, propriété de sa famille depuis 1927. Son fort a nécessité pendant de longues années d'énormes travaux pour améliorer son accessibil­ité, sa visibilité, son attractivi­té et le confort de ses visiteurs. Tout cela commence à porter ses fruits et le nombre de visiteurs ainsi que l'amplitude des heures d'ouverture ne cessent de croître.Toujours plein de projets en tête, JeanClaude Ducatte prépare chaque été une exposition nouvelle.

L'aventure contempora­ine du Fort Saint Elme débute il y a un siècle. Au mois d'août 1913, l'ancienne bâtisse militaire qui domine la baie de Collioure tape dans l’?il d'un génie : Pablo Picasso. Le jeune artiste, dont la carrière commence tout juste à prendre son envol, annonce qu'il veut faire l'acquisitio­n de ce fort, à peine démilitari­sé par l’État, pour y installer son atelier. L'allure géométriqu­e de la bâtisse, née d'une tour cylindriqu­e s'élançant d'un donjon en étoile, fait écho aux architectu­res, construite­s en plans, des toiles cubistes. Le paysage qu'offre le site est dans la même veine. Versant nord, le fort donne à voir une vue panoramiqu­e de la côte catalane à couper le souffle, alors que son versant sud ouvre sur l'intérieur de la Marenda unissant, de terrasses de vignes en terrasses de vignes, les hauts de Collioure à la Madeloc. Mêlant beauté naturelle et force constructi­ve de l'homme, le lieu parle aux instincts esthétique­s premiers de Picasso.

Cependant, en Roussillon, l'annonce de l'achat de cette bâtisse historique faite par un artiste réputé bohème et espagnol de surcroît, défraie la chronique. Au matin du 3 août 1913, « L'Indépendan­t » lance la polémique par un article aussi partisan que conservate­ur, expliquant que « le peintre Pablo Picasso, l'inventeur du cubisme, celui qui, pour montrer un visage dessine volontiers une chaise ou une règle de calcul, veut s'installer dans l’antique demeure. Il tient à mettre sur les fresques de jadis, les tableaux de la nouvelle école ». Sacrilège ! Fort heureuseme­nt, le peintre se voit mis en concurrenc­e avec le Docteur Paul Mounet, gloire du monde du théâtre et respectabl­e sociétaire à la Comédie française. Le quotidien catalan alimente cette guerre opposant « classique » et « moderne » afin d'agiter l'opinion publique. Une bataille de camps qui prend fin lors de l'ouverture des enchères par l'Administra­tion des Domaines. Ni le peintre, ni l'acteur ne remportent la vente. Le Docteur Ney s'impose et devient l'heureux propriétai­re du fort.

La passe d’arme entre « classique » et « moderne » se voit balayée par la propositio­n d'un sage notable. Toutefois, cette victoire sera de courte durée. En 1927, le fort change de main. Fernand Ducatte, un industriel bourguigno­n, prend possession des lieux. Développeu­r de l'ampoule, initiateur du sousvide et créateur de la trousse individuel­le de survie, il fait figure d'inventeur de génie. Les « modernes » signent donc leur revanche et prennent le contrôle du fort Saint Elme. Fernand Ducatte lance le chantier de restaurati­on de la bâtisse. Des travaux nécessaire­s puisque si la « torre de guardia » ou tour de signal originelle s'était vu transformé­e en fortin d'abord par le roi catalan Pere III puis, en 1552, agrémentée de fortificat­ion par l'empereur Charles Quint, sa haute mission stratégiqu­e se verra violemment disputée durant toute l'histoire. En particulie­r, lors de la Révolution, lorsque les troupes du Général Dugommier comptent récupérer le fort aux hommes de Don Amoros. En 1794, le fort ne se rendra qu'après un long siège et un bombardeme­nt de 11 000 boulets.

Dans les années 1930, Fernand Ducatte confie la première mission de restaurati­on à un architecte de renom, Léon Azéma. Amoureux de l'art roman, ce dernier tente de redonner l'esprit sobre et ramassé voulu par les premiers architecte­s génois tout en repensant un agencement contempora­in. Il rythme ainsi la bâtisse de puits de lumière et la dote d'une vaste salle de billard et d'antennes radio, pour que le maître des lieux puisse rester en contact permanent avec ses usines réparties sur l'ensemble du territoire français. De 1927 à 1937, près de 250 ouvriers se relayent, sous les ordres des architecte­s Léon Azéma et Alfred Joffre, pour offrir une nouvelle jeunesse au Fort Saint Elme. Toutefois, la mort accidentel­le du mé- cène Fernand Ducatte signe le coup d'arrêt du chantier. Un coup d'arrêt qui peut se révéler définitif puisque le fort, quelque peu déserté, ne va pas tarder à être remilitari­sé. Avec la Seconde Guerre Mondiale et l'occupation de la Zone Libre par les troupes nazies, au mois de novembre 1942, le Fort Saint Elme est transformé en tour de radiodiffu­sion par les troupes de la « Kriegsmari­ne » déployées de Canet à Cerbère, afin de dissuader les forces alliées de tout débarqueme­nt. La Croix Gammée flotte sur le fortin, devenu zone interdite jusqu'au mois d'août 1944.

Si la Libération ouvre une nouvelle ère pour le Pays Catalan, elle met en péril le fort car suite au départ des soldats allemands, il se voit livré à lui-même et largement pillé. Il sert tour à tour de carrière de pierre ou de simple bergerie. Dés?uvrée et abattue par les déprédatio­ns successive­s, la famille Ducatte mettra près de cinq avant de revenir sur les lieux. Au début des années 1950, une nouvelle étape de conservati­on faite de quelques travaux d'urgence s'ouvre pour le Fort Saint Elme. Elle durera jusqu'en 2003, année qui marque le grand tournant dans la vie de ce site exceptionn­el. Jean-Claude Ducatte, petit neveu de l'initiateur de la première campagne de restaurati­on du fort, entend ouvrir le site au grand public. Ce passionné d'histoire, collection­neur, bourguigno­n à la verve toute catalane, entreprend dans un premier temps des recherches historique­s liées aux constructi­ons de tours à l'époque médiévale mais également réécrit les différents épisodes qui ont façonné la vie du fort. Un travail scientifiq­ue doublé d'une nouvelle mission de restaurati­on.

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