Le "pitch de la trilogie
Des réfugiés venus de France, de Grande-Bretagne et de Belgique ont envahi la ville: la troisième guerre mondiale dévaste l’Europe. Et maintenant, une alerte atomique jette les habitants sur les routes et sur la mer. Les issues sont bouchées, des troupes de malfaiteurs se livrent au pillage, bientôt concurrencées par l’armée et la police. On ne compte plus les morts – suicides, assassinats, famines, accidents. Dans ce chaos d’apocalypse, un jeune homme de bonne famille parvient à s’échapper. Voiture blindée criblée de balles, hélicoptère, véhicule tout-terrain, il faudra deux jours aux fugitifs pour atteindre leur refuge. Quand cette guerre a-t-elle éclaté? Où? Dans un avenir pas très éloigné qui ressemble à notre présent, mais à une époque où les avions rallient depuis longtemps New York à Paris en une heure et trente-cinq minutes! Les visions d’horreur, la panique collective laissent aussi parfois la place à une idylle en huis clos. Le voyageur, narrateur sans nom, débarque au pied d’une forteresse, tout près des sommets neigeux (les Pyrénées?), accrochée au bord de l’abîme. Passée la cour austère, il pénètre dans un décor de rêve, un palais des mille et une nuits, un lieu de délices raffinés où l’accueillent des gens beaux, aimables et cultivés. Là, à l’abri du monde en fusion, les convives vont passer le temps à festoyer tout en se racontant des histoires. Il y aura sept journées, des dizaines de récits enchâssés, des départs et des arrivées. Phrixos le fou ne relate que les deux premières de ces journées et la moitié de la troisième. C’est terriblement frustrant, car le lecteur se retrouve pris dans un dédale de fausses pistes, peuplé d’identités trompeuses, obligé, s’il ne lit pas le cata- lan, d’attendre la publication des deux prochains volumes pour tenter de comprendre qui est ø, la mystérieuse figure absente qui hante les histoires, et quelle est la nature du «bijou», objet de toutes les convoitises, que semble détenir la banque Mir. Cette banque – son fondateur, ses successeurs, son héritière et ses malversations – est au c?ur de ces journées. Tous les invités du château ont partie liée avec elle, de plus ou moins près, et il est probable qu’elle ait à voir avec la guerre en cours puisqu’un des thèmes principaux du livre, c’est justement l’emprise de la finance sur le politique et le social. Le jeunot un peu naïf à travers lequel nous suivons ces jeux verbaux est certainement plus impliqué qu’il ne le soupçonne. Miquel de Palol dit de ce premier roman (publié en 1989) qu’il est un remake du Roi Lear, le roi étant le banquier Cros qui sombre dans la démence à la fin de sa vie, sous le regard désolé de sa fille Lluïsa. Mais le cadre où il place les récits de la tragédie fait plutôt penser à un «heptaméron» ou à un château sadien, en version soft. La structure astucieuse, elle, renvoie au Manuscrit trouvé à Saragosse ou à d’autres récits picaresques, à Borges ou à Calvino. Au château, tout semble codé: le merveilleux «jardin des sept crépuscules», réchauffé par une nappe phréatique propice à l’olivier et au palmier; le jeu de la lumière sur les murs, savamment agencé par un architecte subtil (c’est aussi la profession de l’auteur); l’ordonnance des repas; les livres de la bibliothèque et les chefs-d’?uvre aux murs; les conversations et les histoires. Les registres varient: il est question de la haute société espagnole, d’art et d’amour, de politique mondiale et d’argent, de crimes et de pouvoir, d’amitié, de trahison et de vengeance, mais aussi de mathématiques. Et de mythologie, dans un long récit de rêve tombé là par surprise. « Le dénouement d’une histoire conditionne la manière de la raconter, et à moins de tout inventer au fur et à mesure, au commencement le narrateur doit fausser ce qu’il connaît, présenter ce qu’il sait de son histoire comme s’il en ignorait la fin, en se calquant sur l’ignorance des auditeurs», s’inquiète un des narrateurs. Quant au lecteur, il a beaucoup de travail à démêler les fils que l’auteur lui embrouille à plaisir. Pour autant qu’il aime ce genre d’énigme, il passe quelques heures de frissons élégants, délicieux. Paris n’existe plus et la guerre est très loin dans la plaine, à peine perceptible sur les écrans d’ordinateur relégués dans une pièce à part.