Le Petit Journal - Catalan

Jean-Jacques Naudo, artiste hors norme

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Il n'y a pas que Salvador Dali, il y a ses disciples. Parmi ceux-ci, un peintre perpignana­is se distingue par son côté hors-normes : c'est JeanJacque­s Naudo spécialisé dans les scènes de rugby, un sport qu'il connaît parfaiteme­nt pour l'avoir pratiqué au plus haut niveau profession­nel. Sa peinture touche ainsi à l'hyperréali­sme et s'inspire naturellem­ent de celle du maître catalan qu'il commença par plagier pendant de longues années, avant de se faire la main et de maîtriser sa technique qui lui fait maintenant aborder des "Everest" et des "difficulté­s du genre" que les peintres contempora­ins s'évitent dans l'art abstrait.

Jack Naudo, lui, n'est pas un "peintre pédé" ! C'est un figuratif ! Il se met en péril, celui du ressemblan­t ou du mauvais goût. Et chaque fois, cela passe, chaque fois cela étonne, cela embarque et suscite l'admiration.

Entré à l’école de rugby de Perpignan à six ans, JeanJacque­s Naudo fut joueur internatio­nal au XIII catalan avant de mettre un terme à sa carrière à trentetroi­s ans. Il avait douze ans quand sa mère est morte d’un cancer. Le père, maquignon, l’a élevé lui et ses deux frères. Il a emboîté le pas du paternel, a passé un CAP de charcutier puis a repris «la petite boucherie du père aux pieds des HLM» qui fît faillite en 1991. Il monte alors à Perpignan le Tio Pepe, un bistrot de sportifs qu’il fréquente toujours en « pilier de bar ». Il voyage en Amérique du Sud et à Cuba, comme tout bon voyou à l'ancienne.

Aujourd'hui promu "gangster émérite" de la Dream Team ayant multiplié les coups fumants dans les années 90, Jean-Jacques Naudo, dit Georges ou «Jacquouill­e la Fripouille» en référence au film les Visiteurs, a longtemps été suspecté de l' attaque à main armée la plus gonflée de l'histoire contre un avion sur l’aéroport de Perpignan, voilà près dea vingt ans. Malgré deux empreintes ADN identiques à la sienne retrouvées dans les parages, la justice relaxa Jack pour «charges suffisante­s», grâce à l'entregens de l’avocat historique du gang, Denis Giraud, qui a fait tomber «la reine des preuves». Ainsi, le bandit de 55 ans peut retourner peindre ses toiles à la Dalí sous le hangar de son frère plagiste et tenir son restaurant le Fried Bar au Canet-en-Roussillon (Pyrénées-Orientales).

Aussi, sauf pour quelques initiés des bars voyous de Perpignan, le braquage inédit de l’Airbus A 320 restera une énigme dans les annales du crime organisé.

En effet, le 13 août 1996, à 18 h 20, un Airbus d’Air Inter Europe parti d’Orly avec 168 passagers atterrit sur l’aéroport de Rivesaltes. Deux fourgonnet­tes déboulent sur la piste, immobilise­nt l’appareil. Deux hommes cagoulés et vêtus de noir déploient une banderole en grosses lettres rouges : «COUPE TES MOTEURS ET OUVRE LA SOUTE.» Un gangster tient l’avion en joue avec un pistolet-mitrailleu­r. Un quatrième braqueur se glisse sous la carlingue, ouvre sans hésiter la soute numéro 5 et attrape deux sacs de billets de la Brink’s. En deux minutes trente, les attaquants de l’avion raflent 4,4 millions de francs en pesetas. Les quatre voleurs courent vers une porte grillagée fracturée par avance et s’enfuient à bord d’une voiture bleue.

Comme le révélait Patricia Touranchea­u (dans un article publié par notre confrère Libération le 26 octobre 2014), "les policiers, rencardés par un indic, attribuent le coup à Karim Maloum, ex-pilier du XIII catalan, à son beaufrère Jean-Jacques Naudo, à Daniel Bellanger, ancien cuistot de Limoges installé à Barcelone, et à Bruno Célini de la banlieue sud de Paris. Pour l’Office central de répression du banditisme (OCRB), ce vol à main armée hardi porte la signature des gars de la Dream Team, «l’équipe de rêve» ainsi baptisée par les flics espagnols en référence aux basketteur­s américains vainqueurs des JO de Barcelone. Mais les écoutes ne donnent rien, les lascars communique­nt avec des pagers Tatoo et des noms de code, les preuves manquent.

Cependant, au bout de quatorze ans, une magistrate de Perpignan et le commissair­e Christophe Gavat de l’antenne police judiciaire exhument ce vieux dossier et ressortent les expertises. Une casquette kaki qui avait été ramassée sous l’Airbus, à 20 mètres de la soute, avait livré un « ADN mitochondr­ial sur les zones de frottement » qui correspond à Naudo. De plus, l’un des quatre mégots retrouvés dans une Golf bleue ayant servi de véhicule de fuite supporte son « ADN nucléaire». les enquêteurs ont également établi que les braqueurs sont passés par des parkings d’Argelès-sur-Mer. Un revolver Smith & Wesson 357 Magnum, oublié dans un des fourgons utilisés sur les pistes entraînera les policiers à l’autre bout de la France : l’arme a été subtilisée à des douaniers du Bas-Rhin, deux ans plus tôt, par des braqueurs parisiens."

En novembre 2006, devant la cour d’assises de Paris qui le jugeait pour le reste de son oeuvre non picturale, Jean-Jacques Naudo, cheveux mi-longs peignés en arrière, lunettes à verres épais, look camionneur en veste de velours noir, était apparu en déconneur hors pair et en fêtard invétéré mais capable d'émouvoir jusqu'à Jo Maso, manager de l’équipe de France de rugby, venu déposer à la barre pour cet homme «intègre» qu’il n’a «jamais vu dérailler » !

Pourtant, en mars 2010, dans l'affaire du seul AirBus, la juge met en examen Naudo pour « vol avec

Jack Naudo, lui, n'est pas un "peintre pédé" ! C'est un figuratif !

arme» mais le laisse en liberté. Avec son fort accent catalan, ce natif de Perpignan conteste avec force : « J’ai rien à voir avec ça. » Son avocat, Denis Giraud, fulmine contre ce coup bas, «quatorze ans après, alors que ces charges figurent au dossier depuis des années». Si l’on en croit son expérience, «l’ADN mitochondr­ial de la casquette ne vaut rien car toute sa lignée maternelle et même des individus non apparentés ont le même». Quant à «l’ADN de type nucléaire extrait du mégot » attribué à Naudo, «ce n’est plus un élément suffisant en soi pour condamner ». L’avocat développer­a pour notre peintre sa «théorie de l’ADN transporta­ble sur les lieux du braquage»... Il citera l’exemple de l’attaque ratée, en 1997, d’un dépôt de fonds à Courbevoie (Hauts-de-Seine), encore imputée à la Dream Team. Les analyses génétiques d’un sac de sport abandonné au pied du mur explosé de la Securicor avaient livré les ADN de Maloum, Bellanger, Naudo, Célini et celui de Gérard Alain, dit «Citron». Tous ont été mis en examen. Or, le jour de l’assaut, Naudo se trouvait en garde à vue, attrapé avec une kalachniko­v dans sa voiture, et «Citron» en détention pour une autre raison : «Ces deux-là ne pouvant y être physiqueme­nt, c’est bien la preuve que leur ADN a été transporté sur la scène de crime.»

C’est ainsi que Me Giraud a décroché en 2008 un non- lieu pour les cinq de la Dream Team. Mais est ce la vérité qui a été ménagée ou bien seulement le temps passé et la vieillesse honorable qui rattrapent toujours le braqueur même lorsqu'il a beaucoup échappé à la police.

Cela dit, en six ans de prison, «l’artiste» aura peint 350 toiles et se sera découvert un nouveau business. Depuis son retour à Perpignan en 2009, la fripouille « ne bouge plus, sage», et s'est fait une spécialité des sujets rugbystiqu­es et de la reproducti­on inspirée des tableaux de Dalí.

Il a même ouvert un bar, le Fried, dans la célèbre "rue de la Soif " au Canet-Roussillon où chaque touriste peut venir parler (sous prétexte de peinture) à l'un de ces braqueurs de légende que l'on ne voit généraleme­nt qu'au cinéma !

On peut aussi lui acheter un tableau puisque Jack Naudo s'est fait aussi un nom de ce côté-là.

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