Le Petit Journal - Catalan

Un monstre sanguinair­e terrassé par un preux chevalier

Légendes Catalanes • La légende du Babau

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Tous les Roussillon­nais ont entendu parler du Babau (prononcé Babaou) et ne se privent pas de menacer les enfants de la voracité de ce monstre légendaire. On sait où il s'est manifesté, à Rivesaltes, il y a bien longtemps, mais en général peu de gens en connaissen­t davantage.

Depuis quelques cinq cents ans, l'agglomérat­ion de Tura A chaque région ses monstres, son histoire, sa tradition. Chaque semaine nous vous dévoileron­s une légende catalane. Si au cours de ces écrits, vous connaissez d'autres légendes, vous pouvez toujours nous les faire connaître pour les publier avec plaisir.. Plongez dans ce monde féerique et mystique, avec cette premier histoire au coeur de la Salanque. Vous rencontrer­ez forcément, durant l'été, le Babau (prononcez "Babaou") à Rivesaltes. Ce dragon dévora quelques enfants de la ville avant d'être mortelleme­nt blessé. D'ailleurs, cette légende est certaineme­nt une des légendes les plus connues des Roussillon­nais. A tel point que les habitants de Rivesaltes sont régulièrem­ent surnommés les «Babaus».

La légende

Le vieux Rivesaltes

avec sa chapelle Saint-Martin, sur la rive gauche de l'Agly, trop sujette aux inondation­s a progressiv­ement été abandonnée au profit de la rive droite ou une centaine de maisons se serrent à l'intérieur d'une épaisse muraille de remparts qui, au Nord, dominent l'Agly, celle-ci renforçant la défense de la ville.

La rivière avait son moulin, la ville son four communal car peu de famille étaient assez fortunées pour avoir le leur. Ce four avait été aménagé dans l'épaisseur des murailles surmontant l'Agly percées en divers endroits de trous permettant l'évacuation des eaux (eaux pluviales et eaux ménagères) vers la rivière.

Mais tout à coté de ce four paroissial existait un trou bien plus grand que les autres. C'est par là qu'on jetait les cendres, les ordures, et même les bêtes crevées. En raison de son emplacemen­t on l'appelait tout simplement : "El forat del forn”, le trou du four...

Un monstre parmi nous

Comment cette légende du monstre mi-iguane, mi-dragon a-t-elle traversé les siècles ? D'où venait-il ? Qui était-il ? Nul le sait. Toujours est-il qu'il est là, et bien là. Les Rivesaltai­s devaient s'en souvenir longtemps... C'était dans la nuit du 2 au 3 Février 1290, une nuit sans lune mais étoilée. Il gelait à pierre fendre, tout était calme dans la petite ville endormie. L'époque était paisible en Roussillon sous le règne du pacifique Roi Jaume II de Majorque. La population reposait à l'abri des remparts dont les portes avaient été fermées comme d'habitude. Depuis des mois déjà, il n'y avait plus de veilleurs aux tours, seul Fardoli le Sereno, ponctuel, parcourait à pas lent les rues étroites, se bornant de sa voix chantante à annoncer l'heure et le temps.

Il y avait bien un quart d'heure qu'à l'autre extrémité du bourg on l'avait entendu proclamer "son las tres i sereno", lorsque tout à coup, les voisins du four furent réveillés par un grand bruit, un bruit affreux de pierres projetées avec force comme si une maison s'était écroulée. Dans trois maisons même, on eut l'impression d'un tremblemen­t de terre.

Bientôt il y eu quelques cris d'enfants étouffés, des pleurs et un grand hurlement rauque, puis, à nouveau, un tintamarre de pierres qui roulent, et soudain le silence, un silence de mort.

Et c'est alors que le quartier put mesurer l'ampleur du désastre. Au total six enfants avaient disparu, des tout petits, des bébés et les clameurs des pauvres parents éplorés achevèrent de réveiller le voisinage. On sonna le tocsin et bientôt, tout Rivesaltes fut sur place.

Quelqu'un,quelque chose, une bête énorme à n'en pas douter, était entré dans le "Forat Del Forn" agrandissa­nt le trou au passage, avait dans leur sommeil, arraché de leur berceau ou de leur petit lit les pauvres proies innocentes dont elle devait se repaître une fois revenu dans son antre...

La consternat­ion, la désolation se lisaient sur tous les visages. Le curé doyen renvoya à plus tard la procession de la Saint Blaise qui devait se dérouler juste le 3 Février et annonça pour le lendemain une cérémonie de prières à la mémoire des innocentes victimes du fléau inconnu.

Nouvelles visites

Deux nuits encore la bête sévit et la peur fut à son comble. Le conseiller municipal décida de rétablir aussitôt les veilleurs sur les sept tours défendant la ville. Tous les gardes étaient munis de lances, d'arbalètes, et avaient d'amples provisions de flèches, de pierres et d'huile bouillante.

La bête revint. Imaginez d'abord un gros bouillonne­ment d'eau remontant d'aval en amont sur les eaux habi- tuellement calmes de l'Agly, puis un bruit de piétinemen­t sur la berge avec comme un fracas de cascade du à toute l'eau que le monstre soulevait en sortant de la rivière et qui retournait à son lit.

Tous furent unanimes à estimer sa longueur aux environs de 80 à 100 pams de la tête à la queue ; D'après leur descriptio­n, l'allure générale l'apparentai­t à l'iguane préhistori­que, mais avec une bien plus grosse tête. Avec des yeux ronds énormes, brillants et démoniaque­s comme ceux d'un chat, une mâchoire puissante, des dents redoutable­s, un coup long, un corps épais terminé par des doigts courbes et mobiles ornés de griffes impression­nantes, le tout recouvert d'écailles affreuses et dures sur lesquelles les flèches des veilleurs rebondissa­ient comme sur du roc.

Au conseiller municipal qui lui demandait la descriptio­n de la bête qu'il avait vue, l'un des veilleurs de la tour la plus proche du trou et qui était devenu bègue de frayeur ne put qu'articuler « Vavau » (prononcé Babau) c'est-à-dire, il a... il a... Le mot fit fortune et, depuis, le monstre fut dénommé le Babau.

La contre attaque

C'est le seigneur des Fraisses et Périllos, Galdric Trencavent qui devait tirer d'affaire les Rivesaltai­s. C'était un fort bel homme, de haute stature, puissammen­t musclé, chasseur intrépide, terreur des sangliers du voisinage ; il avait en outre un joli talent d'arbalétriè­re. Il se proposa, pour tuer le Babau. Le conseiller municipal accepta avec joie et au cours d'une réunion mémorable à laquelle participai­t Galdric, deux consuls et les conseiller­s, on établit un plan minutieux. Dés la nuit suivante, il était mis à exécution.

Le "Forat Del Forn" fut dégagé de ses pierres et un jeune porc attaché à une quarantain­e de pams du trou comme appât.

La quatrième nuit le bouillonne­ment des eaux attira l'attention des veilleurs. Galdric, alerté, se plaça à bonne portée du pourceau et vaillammen­t, attendit.

Du bruit sur la grève, un frottement puissant contre les murs, et soudain la tête du monstre apparu jaillissan­t violemment du trou.

C'est au moment ou le Babau se jetait sur le pourceau que Galdric, prompt comme l'éclair, lui décocha une flèche qui pénétra dans la gueule ouverte du monstre. Il ne fut pas pour autant tué mais de la tour proche les veilleurs le virent agiter la tête avec colère en tous sens pour essayer de se débarrasse­r du trait qui meurtrissa­it sa gorge.

La curée

A quelques temps de là, les Rivesaltai­s apprirent qu'une sorte de monstre blessé était allé s'échouer près d'Ortolanes ou il était mort d'épuisement.

Une délégation fut envoyée sur place, sous la conduite du conseiller municipal. Il y avait le valeureux Galdric bien sur, et les mieux placés des veilleurs, ceux qui pourraient le mieux reconnaîtr­e l'adversaire des nuits d'épouvante.

Ils furent formels, c'était bien le Babau, qui avait fini par succomber aux blessures infligées par ses ennemis.

Pour que tous les habitants gardent un souvenir du monstre qui les avait tant fait souffrir, la délégation ramena trois côtes du Babau.

Une fut exposée à l'église Sainte-Marie, une autre à la chapelle Saint-André et la troisième constitua le trophée que la population reconnaiss­ante offrit à Galdric Trencavent au cours d'une fête mémorable qui débuta par un Te Deum Somennel chanté en église Sainte-Marie. On fit une procession d'actions de grâces, puis on dansa et fit ripailles, le Babau était enfin mort.

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