Le Petit Journal - Catalan

A Rivesaltes, "on devenait invisibles", selon l'auteure de "Fille de harki

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Du camp de Rivesaltes, où elle a abouti au sortir de la guerre d'Algérie, Fatima Besnaci-Lancou, fille de harki, se souvient surtout de "l'atmosphère de désespérés" qui y régnait: "la relégation, c'est ça: vous devenez invisibles".

Bien-sûr, il y avait ce "vent glacial qui s'engouffrai­t sous les tentes", "ce froid absolument insupporta­ble" qui "cisaillait les mains" et lui laissa des engelures pendant des années.

Bien-sûr, il y avait cette "pénurie d'eau" qui la forçait à courir après le camion-citerne avec une casserole. Le manque d'hygiène, les puces et la tuberculos­e.

Bien-sûr, il y avait "la sirène stridente qui hurlait dans le camp, pour aller chercher de quoi se nourrir". Et aussi le "bruit continuel" du vent projetant les fenêtres en ferraille contre les murs.

Mais c'est surtout l'impression d'une "surpopulat­ion de désespérés", d'"indésirabl­es", qui a marqué la fillette d'alors, devenue depuis grand-mère.

Fatima Besnaci-Lancou avait 8 ans lorsqu'elle a franchi, fin 1962 avec ses parents et ses petite soeurs, le camp militaire Joffre à Rivesaltes (Pyrénées-Orientales), dont le musée-mémorial sera inauguré vendredi par le Premier ministre Manuel Valls. Elle passera au total dix-sept ans dans des camps harkis.

A Rivesaltes, les réfugiés sont d'abord entassés sous les tentes, "une vie assez abominable", avant d'intégrer, une fois restaurées, les baraques en dur qu'occupaient vingt ans plus tôt Espagnols, juifs, tziganes, collaborat­eurs et autres prisonnier­s de guerre.

Derniers arrivés dans ce flux de déplacés, les harkis y resteront jusqu'à la fermeture officielle du camp en décembre 1964 et audelà.

'Comme des fourmis dans tous les sens'

Avec 10.000 habitants fin décembre 1962, le camp de Rivesaltes est alors la deuxième ville des Pyrénées-Orientales après Perpignan.

"Cette surpopulat­ion, avec le manque d'hygiène, le manque d'intimité, le manque d'eau, ça faisait une atmosphère de désespérés", dit-elle à l'AFP avant l'inaugurati­on du mémorial, dont elle est membre du conseil scientifiq­ue.

"La petite fille que j'étais se souvient que tout le monde courait dans le camp comme des fourmis qui allaient dans tous les sens", raconte l'auteure de plusieurs ouvrages dont "Fille de harki" (2003) et "Les harkis envoyés à la mort" (2014).

"Je ne comprenais pas pourquoi on ne voyait pas de Français de France; pourquoi la France, c'était les fils barbelés, pourquoi c'était un pays de vent et de froid", ajoute-telle. "J'ai le souvenir d'une femme qui criait sous la tente en accouchant, des enfants qui mourraient. J'ai ressenti l'abandon de la société française".

"En fait, quand on est dans un camp, on n'est pas en France, on est au milieu de nulle part", témoigne la sexagénair­e, convaincue que Rivesaltes était pour les harkis "un camp de relégation" pour les "indésirabl­es" de confession musulmane qu'ils étaient.

"On attendait que le temps passe", se rappelle-t-elle, et "on devenait invisibles". "La relégation, c'est ça, vous devenez invisibles, vous devenez suspects (...) C'est un énorme fardeau, qu'il faut symbolique­ment déposer avec ce mémorial". Un mémorial qui selon elle doit être découvert à la lumière du "flot" de réfugiés syriens fuyant au- jourd'hui les massacres.

"Ma tête résonne de tout ça", ditelle, "comment se poser la question" de les accueillir ou pas? "Ca me rappelle l'été 1962, quand on a ramené les Européens et qu'on a laissé les musulmans. C'est le Colombey-les-deux-Eglises que le Général De Gaulle ne voulait pas voir se transforme­r en Colombeyle­s deux-mosquées".

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