CAMOU: "UN ÉCHEC TOTAL"
Le président de la Fédération française de rugby (FFR) Pierre Camou a admis auprès de l'AFP que l'élimination du XV de France en quarts de finale de la Coupe du monde samedi était "un échec total" et qu'il fallait donc "trouver un autre système".
M. Camou, qui ne s'exprime que très rarement dans la presse, a confessé que le rugby français vivait "un moment difficile" mais s'est dit "prêt à tout" pour améliorer la situation, y compris établir des contrats fédéraux pour les meilleurs joueurs. Q: Comment expliquezvous que l'on ne vous ait guère entendu vous exprimer sur la situation du XV de France ?
R: "Quand il y a des moments compliqués, je suis présent. Simplement, mon tempérament fait que je ne réagis jamais à chaud. Je prends un peu de recul et de réflexion sur l'événement, pour que mon affect et mes émotions n'essayent pas trop de me dominer." Q: Nous sommes donc dans un moment compliqué ?
R: "Nous sommes dans un moment difficile, ce serait stupide de le nier. Tout le monde et moi le premier, plus que quiconque, est très déçu de l'élimination du XV de France en quart de finale. On s'était fixé des objectifs importants, donc cette défaite est un échec total. Il faut bien le reconnaître. Je suis le premier à le reconnaître et j'en prends, en tant que président de le Fédération, la responsabilité absolue. Je n'ai pas l'habitude de fuir mes propres responsabilités." Q: Peut-on déjà esquisser les raisons de cet échec ?
R: "Je vais d'abord m'adresser aux miens. J'ai convoqué un bureau fédéral extraordinaire jeudi matin à Paris, avec comme seul ordre du jour cette Coupe du monde. J'attends que tout le monde s'exprime librement, fasse les constats, donne son regard et ait du courage. Après l'euphorie de 2011, où nous avions fait une belle finale (défaite 8-7 face aux All Blacks, ndlr), j'avais organisé dans la foulée les Assises du rugby en mars 2012, parce que les maux étaient déjà là et le sont toujours. J'espère que tout le monde va prendre conscience que dans l'intérêt du rugby, le XV de France doit être au centre de notre organisation. C'est ce que j'ai toujours essayé de défendre." Q: Pourtant, la convention que vous aviez signée avec la Ligue portant notamment sur la mise à disposition des internationaux était censée constituer une avancée...
R: "Dans la dernière convention, on a fait quelques avancées. Des avancées dans les temps de préparation, dans la santé des joueurs, sur le nombre des matches. Je me suis même retrouvé au tribunal pour la défendre. Mais ces avancées ne sont pas suffisantes. Il faut encore aller beaucoup, beaucoup plus loin. Pour ça, il faut le faire ensemble, pas chacun dans deux logiques différentes. Moi j'ai une logique équipe de France, construction d'une Fédération sur 20 ans. Je comprends que d'autres aient une logique de très court terme, mais cela ne correspond pas à la construction du monde de demain." Q: Vous convenez donc qu'il faut remettre tout le monde autour de la table ?
R: "Absolument. Je rappelle que pour que le rugby à VII existe, la Fédération a été obligée de prendre tous les joueurs sous contrat. Mais je crois que nous sommes le seul sport collectif à avoir qualifié les garçons et les filles pour les jeux Olympiques. Sans contrat, nous ne serions nulle part. Mais le VII était un terrain à peu près vierge. Là, il y a tout un historique. Ramer à contre-courant est difficile et ramer dans un environnement de l'argent est souvent très compliqué." Q: Cela veut-il dire que vous allez proposer des contrats fédéraux pour les meilleurs joueurs ?
R: "Je suis prêt à tout. A condition que chacun prenne conscience de la situation. C'est comme le réchauffement climatique. C'est quand la pointe de l'iceberg est touchée que l'on se rend compte que toute la banquise fond. C'est mon sentiment. Depuis 6 ans, on essaye de tout réformer, les tranches d'âge, les formations. Mais les gamins ne jouent pas (en Top 14 ou Pro D2, ndlr)! Ils ne jouent jamais. Or, la meilleure des formations, c'est le jeu. Je ne peux pas les faire jouer moimême, donc il faut trouver un autre système." Q: La FFR a-t-elle les moyens de ces contrats fédéraux ?
R: "Il y a deux façons d'envisager cela. Soit on a les moyens et il faut les prélever sur d'autres dépenses. Soit il faut créer des nouvelles recettes. Si je veux faire construire un stade, ce n'est pas pour moi. C'est pour construire, avec une vision sur 20 ans. Je suis fils de paysan et je sais que quand on fait le sillon, il faut du temps pour que ça lève. Ca ne se fait pas d'un claquement de doigt. Je ne suis pas un démiurge." Q: Mais à plus court terme, de quels moyens disposezvous ?
R: "Le problème est bien là. Il faut avoir une volonté politique. C'est pour ça que je convoque un bureau fédéral, pour faire échanger et faire comprendre à tous le monde dans lequel on est. Le système n'est pas parfait, c'est le fruit de négociations entre les acteurs du rugby, et il montre là ses limites." Q: Regrettez-vous d'avoir laissé ce décrochage du XV de France se produire ?
R: "Je regrette de ne pas avoir eu le courage de la rupture (avec les clubs professionnels, ndlr). Lors des né- gociations de la convention (en 2013, ndlr), il y a eu une réunion mixte entre la Fédération et la Ligue qui a duré 5 minutes, où je leur ai dit qu'ils pouvaient aller jouer ailleurs. Et je suis parti." Q: Quelle part de responsabilité attribuez-vous au sélectionneur Philippe SaintAndré ?
R: "Je n'aboie pas après les autres, ce n'est pas mon style, je n'attaque pas les personnes. J'ai maintenu à Philippe Saint-André ma confiance pendant quatre ans. C'était compliqué pour lui de construire dans cet environnement très particulier." Q: Samedi soir, on a vu des joueurs du XV de France particulièrement inquiets pour l'avenir. Cela vous-t-il affecté ?
R: "Evidemment que ça m'a touché ! Les joueurs sont les premiers acteurs du jeu, c'est leur santé qui est en jeu, leurs performances, savoir s'ils vont faire un an ou deux ans en plus. Moi je me bats pour limiter le nombre de matches, pour faire comprendre que même jouer 20 minutes, c'est comme un match. Car c'est aux joueurs que je pense avant tout."