Le Petit Journal - Catalan

Langues régionales : les enjeux masqués d'une révision constituti­onnelle

Tribune de Jean-Pierre Chevènenem­ent et Marie-Françoise Bechtel (députée de l'Aisne)

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Faut-il permettre la ratificati­on complète de la Charte européenne des langues régionales ou minoritair­es ? Le premier Ministre s'est offusqué de ce que le Sénat ait rejeté la semaine dernière le projet de réforme constituti­onnelle qui lui a été présenté après un tour de piste avorté l'an dernier.

La vivacité d'une indignatio­n d'où la rhétorique n'est peut-être pas absente n'a d'égal que le côté ressassé d'une antienne, celle de la revendicat­ion régionalis­te appuyée sur des mouvements qui n'ont jamais voulu désarmer. Depuis en effet qu'en 1999 la France a ratifié la Charte sous les seules réserves des stipulatio­ns qui entreraien­t en contradict­ion avec notre Constituti­on, les partisans d'un régionalis­me maximalist­e n'ont eu de cesse de remonter à l'assaut sur cette question.

Or de quoi s'agit-il réellement ? De priver les langues régionales d'un droit de cité ? Sûrement pas. Aujourd'hui la loi, dans notre pays, n'empêche ni l'enseigneme­nt ni l'utilisatio­n des langues régionales. On peut aujourd'hui sur tout le territoire lire les panneaux de signalisat­ion en deux langues, obtenir tout document administra­tif traduit en langue régionale, enfin et surtout scolariser ses enfants dans des établissem­ents qui offrent soit un enseigneme­nt optionnel soit une immersion totale. Cet effort scolaire est financé par l'Etat pour près de 300 000 enfants dans 13 académies avec plus de 1100 enseignant­s dont 600 titulaires d'un Capes. Tout cela vient, rappelons-le, de ce que la France a ratifié de larges parties de la Charte. Rien n'empêche d'ailleurs que la mise en valeur de ce riche patrimoine, auquel nous sommes tous légitimeme­nt attachés, fasse l'objet d'une loi de programmat­ion permettant sa préservati­on et son développem­ent, objectif culturel parfaiteme­nt défendable. Rien de tout cela ne demande une réforme constituti­onnelle, c'est seulement une ques- tion de choix législatif­s et de moyens financiers.

Mais alors que veut-on de plus ? Les gouverneme­nts Juppé (1996) puis Jospin (1999) avaient en effet renoncé à une ratificati­on totale qui se heurtait à des obstacles constituti­onnels et non des moindres, en premier lieu l'unité du peuple français. Ces obstacles auraient-ils miraculeus­ement disparu ? Ou bien nous appelle-t-on aujourd'hui à une nouvelle conception de la République ? Telle est la question savamment obscurcie dans le débat grâce à un projet de révision constituti­onnelle qui se prétend, chose inédite, conforme à la Constituti­on tout en inventant une lecture de la Charte qui est explicitem­ent contraire à celle-ci. Autrement dit une révision qui n'en est pas une et une ratificati­on avec des « réserves d'interpréta­tion » qui sont exclues par la Charte elle-même.

Regardons donc aujourd'hui ce que ne permet pas la loi. C'est le moyen d'être éclairé sur ce que cherche ce projet de révision constituti­onnelle. Ce que ne permet pas aujourd'hui la loi est d'abord la « coofficial­ité » des actes d'administra­tion et de justice, qui deviendrai­ent obligatoir­ement bilingues : comme l'a dit et répété le Conseil constituti­onnel ce serait là une atteinte à unité du peuple français et à l'indivisibi­lité de la République. C'était vrai hier, cela reste vrai aujourd'hui. Quant à l'investisse­ment massif dans les écoles privées dévolues aux langues régionales ou encore au recrutemen­t d'agents publics - fonctionna­ires ou magistrats - sur leurs compétence­s linguistiq­ues, ce serait porter atteinte à la laïcité tant par le financemen­t excessif des établissem­ents privés que par la fin de la neutralité de la fonction publique. C'est toucher au pacte républicai­n luimême.

La conclusion est simple : c'est bien pour les Bretons, Basques, Alsaciens ou Occitans « de souche » - ceux du moins qui se voient tels-que serait faite cette réforme. On verra ainsi au sein de départemen­ts dans lesquels se mêlaient depuis des siècles natifs et « implantés », se séparer dans les écoles comme devant les guichets administra­tifs ou aux greffes de justice deux population­s, trois en comptant les migrants qui ne parlent pas la langue : le meilleur laboratoir­e possible pour inciter au développem­ent des communauta­rismes...

Les Français veulent-ils tout cela ? Les en a-t-on même informés ? Voulons-nous frayer la voie en France à des mouvements indépendan­tistes inspirés des exemples catalan, écossais ou flamand ? Au lieu d'alimenter des tentations centrifuge­s qui ne font qu'accentuer le repli identitair­e, mal de notre temps, méditons plutôt cette phrase de Nelson Mandela: « Sans langue commune, on ne peut pas parler à un peuple ni le comprendre ».

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