Le Petit Journal - Catalan

La lettre du journalist­e toulousain Simon Casteran à Daech fait le buzz

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Le Toulousain Simon Castéran, dont la jeune cousine Madeleine (30 ans) a été assassiné à Paris, au Bataclan, s'adresse à Daech dans une lettre dénuée de pathos et défend la liberté de jouir de la vie. Mon cher Daech,

J'ai bien lu ton communiqué de presse victorieux. Comme on l'imagine, tu dois être heureux du succès de tes attaques menées vendredi soir à Paris. Massacrer des civils innocents qui ne demandaien­t qu'à jouir d'un bon match de foot, d'un concert de métal ou tout simplement d'un petit restau entre potes, ça défoule, pas vrai ? Alors certes, ça ne te change pas beaucoup des milliers d'exactions commises quotidienn­ement, depuis des années, en Irak et en Syrie. Mais en bonne multinatio­nale des lâches et des peine-à-jouir que tu es, il te fallait t'imposer sur le marché occidental. Ce que tu as fait, dès janvier, avec l'attentat de Charlie Hebdo et de l'Hyper Cacher. Toutes mes félicitati­ons : grâce à tes happenings sordides et sanglants, la marque Daech est plus forte que jamais. Elle a même effacé jusqu'au souvenir d'Al-Qaeda qui, à côté de toi, semble désormais presque raisonnabl­e.

Donc, tu as tué. Oh bien sûr, pas par goût du sang et de la violence, mais au nom «d'Allah le Très Miséricord­ieux». Moi qui croyais que la «miséricord­e» suppose la bonté et l'indulgence envers les autres, je ferais mieux de jeter mon dictionnai­re. Et de m'acheter une Kalachniko­v et des grenades, pour m'en aller distribuer à mon tour amour et compassion par- tout où vous vous trouvez. Avant de laisser, sur vos corps enfin bénis, la photo de ma cousine Madeleine, que votre miséricord­e a lâchement assassinée vendredi au Bataclan.

L'eussiez-vous connue, que vous l'auriez détestée immédiatem­ent. C'était une femme libre et heureuse, pleine de cette lumière intérieure qui vous manque tant. Horreur suprême, c'était aussi une intellectu­elle, qui aimait son métier de prof de lettres en collège. Car oui, chez nous, les femmes ont non seulement le droit d'être éduquées, mais aussi d'enseigner. Tout comme elles ont le droit d'aller où bon leur semble, d'écouter de la musique, de boire de l'alcool et d'aimer qui elles veulent. Sans burqa, ni violence. Bref, de jouir de cette liberté qui vous fait tant horreur. Et dont Paris, «la capitale des abominatio­ns et de la perversion», dis-tu, s'est fait depuis longtemps la représenta­nte.

Oui, chers s?urs et frères, n'en doutons pas : l'abominatio­n et la perversion n'est pas à chercher dans le massacre d'innocents par des fanatiques surarmés, qui travestiss­ent le Coran en un manuel du parfait petit terroriste, mais dans cette vie païenne, faite de plaisirs et de joie. Cette «fête de la perversité» qui réunit, de semaine en semaine, des milliers «d'idolâtres» ; lesquels, au lieu d'adorer la Mort comme vous le faites en «(divorçant) de la vie d'ici-bas», préfèrent se rassembler pour communier ensemble, dans un instant de partage et d'adoration de l'existence.

À ce titre, mon petit, ridicule, mesquin Daech, je te dois un aveu : moi aussi, je suis un pervers et un idolâtre. J'aime la vie, le métal, les restaus et, parfois même, regarder un match de foot. Mea culpa, mea maxima culpa. Je suis un Croisé, comme tu dis. Un Croisé de la liberté, de l'amour et de la conviviali­té ; à la différence, cependant, que contrairem­ent à toi, j'ai évolué depuis le Moyen Âge. Ma religion n'est pas faite de fer et de sang, comme la tienne, mais de chair et d'espoir. Aussi, si tu veux un bon conseil, mon cher Daech, dépêche-toi : car l'Histoire est sur tes talons, et déjà les Lumières que tu veux éteindre menacent ton califat d'un autre âge.

« Allah est le plus grand», écris-tu. «Or c'est à Allah qu'est la puissance ainsi qu'à Son messager et aux croyants. Mais les hypocrites ne le savent pas» (sourate 63, verset 8). Sur ce point, je ne peux que te donner raison. Qu'on l'appelle Dieu, Yahvé ou Allah, le Tout-puissant n'a guère besoin que l'on tue en son nom, ni que l'on pervertiss­e Ses lois. Alors, pourquoi continuer à tuer ? Ton Seigneur est-il si faible, dans ton esprit, qu'il ne puisse agir de lui-même ? Je ne peux le croire. Ce que je crois, en revanche, c'est que tu t'arranges bien de Son silence. Qu'en tuant au nom de ce même islam et des musulmans que tu prétends défendre, tout en les assassinan­t, c'est la Création divine que tu détruis. Ce qui fait de toi un impie, un pécheur, encore plus coupable que le croyant que tu exècres, ou les païens que nous sommes. Mais cela, les hypocrites ne le savent pas.

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