Des classes moyennes déclassées
Société • Dix ans après avoir publié « Les Classes moyennes à la dérive », le sociologue Louis Chauvel lance un cri d’alarme dans « La spirale du déclassement » (Seuil) : la classe moyenne vit bel et bien un déclin.
Pouvoir d’achat stagnant, impôts alourdis, niveau d’étude non reconnu, difficulté à constituer un patrimoine, inquiétude pour l’avenir des enfants, écarts de revenus grandissants avec les riches… La morosité envahit la classe moyenne, ces Français (50 % à 65 % de la population) qui produisent, consomment, investissent, assurent la stabilité sociale du pays. Et choisissent les Présidents de l a République: ils sont les plus nombreux à voter, les plus indécis.
Dans le discours, la classe politique accorde donc beaucoup d’attention à cette hétéroclite France de salariés, indépendants ou retraités du public et du privé. Dans la réalité, les pouvoirs publics leur demandent toujours plus d’efforts depuis la fin des Trente Glorieuses.
Et même davantage depuis la crise de 2008 et l’élection de François Hollande.
Une fiscalité en hausse Entre les deux livres de Louis Chauvel (2006 et 2016), le rasle-bol fiscal a nourri ce sentiment de déclin. Pour l’économiste Nicolas Bouzou, « la fiscalité pèse essentiellement sur les classes moyennes. Ceux en dessous bénéficient d’exemptions ; ceux en dessus peuvent échapper facilement à l’impôt grâce aux dispositifs d’allégements ».
Ainsi sur les revenus de 2015, 51,4 % des ménages ne paient pas d’impôts sur le revenu (dont une partie des classes moyennes), donc bénéficient de prestations sociales et d’allégements (taxe d’habitation, transports). Les contribuables au-dessus du seuil de non-imposition ont supporté l’essentiel de la hausse de 6 milliards depuis 5 ans.
En outre, pour 460 000 retraités de cette classe moyenne, la CSG a augmenté dans le même temps de 3,8 % à 6,6 % de leurs revenus. Quant aux hausses de taxe foncière (+35 % en 10 ans) elles pèsent aussi, sur cette classe moyenne composée à 68 % de propriétaires.
Au bout du quinquennat et à l’approche de la Présidentielle, le gouvernement cherche un moyen d’alléger la contribution de ces ménages « moyens plus » après avoir permis l’an dernier à 3,2 millions de foyers plus modestes de passer sous le seuil d’impôts sur le revenu. Cette situation est d’autant plus importante dans les PyrénéesOrientales où les revenus des ménages disponible pour consommer et épargner est l’un des plus faibles de France. En 2012 il était de 60% dans les P.-O. contre 67,7% en région Occitanie et 70,6% en France.
La moitié des habitants des Pyrénées-Orientales disposent de moins de 1500 euros par mois pour un personne seule et 2600€ pour un couple. Juste derrière l’Aude, le département a le deuxième revenu disponible médian annuel le plus faible de la région.
Avec de faibles revenus du travail, le niveau de vie des Pyrénaliens est parmi les plus bas de la région.
Un logement plus coûteux En 2013, un accédant à la propriété ou un locataire dans le privé consacrait 27 % de ses ressources à son logement (38 % selon le Credoc* en ajoutant l’énergie et l’eau). Pour ses parents en 1989, la part n’excédait pas 15 %.
Le coût contraint du logement et de l’énergie a réduit dans le budget familial ce que les économistes appellent « le reste à vivre » : les vacances, les loisirs, l’équipement ménager, l’habillement, l’épargne. Selon le Crédoc, un salarié seul avec 1 467 € net mensuel après impôts n’a plus que 294 € soit 20 % pour ces budgets. Or ce sont des marqueurs sociaux forts pour la classe moyenne.
Des professions, des diplômes dévalorisés C’est un autre critère majeur pour la classe moyenne.
Le prof à bac + 4 au salaire gelé pendant neuf ans, l’infir- mière qui a perdu la défiscalisation des heures sup, l’artisan aux charges passées de 32 % à 43 % en dix ans, le salarié de PME sous-traitante contrainte de ne pas remplacer les partants et de bloquer les salaires, voient les écarts avec la classe « populaire » diminuer et avec la classe riche augmenter. En 1999, selon l’Insee quand la catégorie populaire gagnait 100, la moyenne se situait à 220, et les plus riches à 748. En 2014, à euros constants, le populaire gagne 111, le moyen 156, le riche 975.
Cette dévalorisation du diplôme nourrit chez les jeunes le sentiment qu’ils vivront moins bien que leurs parents. Au XXe siècle, cela n’était jamais arrivé.