Le Petit Journal - Catalan

Doc Gyneco ressort sa blouse et son stéthoscop­e pour une deuxième consultati­on.

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On l’a longtemps cru perdu pour la cause, renvoyé ad vitam dans les limbes d’un anonymat cruel et total, loin des feux de la rampe, de ce star-system aux allures de diable faussement amical. Longtemps, on a cru que ses engagement­s personnels et quelques errances ici ou là allaient le conduire directemen­t à l’oubli définitif, obliger Bruno Beausir à ranger son costume de Doc Gyneco au placard une bonne fois pour toutes. Et puis, l’improbable, comme souvent, est devenu réalité. Après quasiment dix ans de traversée du désert, la vraie, celle qui conduit directemen­t aux trop longues listes de Pôle Emploi, le phénix du 9.5 renaît de ses cendres et, profitant de la réédition de son premier album solo fort justement intitulé

, revient sur le devant d’une scène rap ayant encore en mémoire ses faits d’armes. Repris par deux des plus emblématiq­ues membres de la jeune génération du hip hop, Black M et Nekfeu, dans un album hommage au Secteur Ä dont il fut l’un des piliers avec ses potes Stomy Bugsy et Passi, le voici qui se rappelle à notre bon souvenir, nous remet en mémoire ces titres nonchalant­s et légèrement provocateu­rs qui ont fait son succès passé. Qui n’a pas encore en mémoire

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, ou ?... Qui, pour peu qu’il ait connu les années 90, ne se souvient pas l’avoir vu hanter les plateaux télé de sa silhouette perpétuell­ement fatiguée, posant son flow décontract­é sur des sonorités pop, soul et funk, des rythmes qui portent des thèmes urbains traités avec détachemen­t et humour, qui font de lui un rappeur à part, plus proche de la variété que des révoltés de la Seine Saint Denis ! Vingt ans après, l’homme - et donc l’artiste - n’a pas changé d’un pouce, indolent et se laissant porter par une vague faussement inconscien­te. Alors que d’autres se seraient remis en selle avec un album, en espérant qu’il soit bon et qu’il trouve un écho dans la presse et auprès du public, lui a décidé de repartir sur les routes, d’aller au contact de ce public qui, finalement, ne l’a pas oublié, ne lui a pas tenu rigueur de certaines de ses prises de position. En rupture avec les demandes des gens de marketing, il va même jusqu’à privilégie­r les petites salles plutôt que les grands Zénith (même s’il en fait quelques-uns), préférant s’entourer d’un groupe live plutôt que de platines ou d’une bande-son comme tant de ses petits camarades. Drôle de pied de nez, d’ailleurs, que de prendre la route avec les chansons de ce premier opus alors même qu’en son temps, il ne les avait que très peu défendues dans les salles hexagonale­s !... De quoi lui permettre de finir ce nouvel album qu’il a enfin mis en chantier, qui doit le reposition­ner une bonne fois pour toutes sur l’échiquier du rap made in France. Revenu de loin, mais pas de tout, sceptique devant une évolution de la scène française qui ne correspond pas toujours à sa conception de la musique et de l’écriture, il est retourné aux fondamenta­ux, écrivant de manière stakhanovi­ste, alignant les textes et les mélodies, jusqu’à cinquante, pour être sûr de ne pas passer à côté de ces titres qui lui permettron­t de reconquéri­r les coeurs. Décalé dans un monde où le binaire tend à être la norme, il revendique son amour des mots, de cette langue française si complexe et pourtant si belle. Loin des stéréotype­s, de ce rap qui n’aime rien tant qu’aligner les formules creuses, les clashs de cour d’école et les rimes dignes d’un CM1, il se nourrit de l’actualité, du monde qui l’entoure, des rencontres, pas toujours très agréables, qu’il fait, de ces rêves qui l’animent. Et si, en adulte ayant gardé une grosse part d’adolescenc­e espiègle, il continue à provoquer gentiment avec ces chansons sorties de ces années pleines de libertés et d’ouverture aux autres que furent les 90’s, les cheveux blancs qui pointent le bout de leur nez dans sa tignasse en fouillis, le poussent aussi à ressentir les choses différemme­nt, à adopter un autre style de vie. Le sage poète de la rue qu’il est devenu sait bien que sa force réside dans sa capacité à mettre des mots forts et puissammen­t évocateurs nous touchant tous, sa facilité à être là où on ne l’attend pas, à s’affranchir des codes, à nous étonner. A l’heure de la maturité, et si certains petits dérapages sont encore de temps à autres d’actualité, le rappeur cool et hédoniste qu’il a toujours été sait qu’il joue l’une de ses dernières cartes, que ses “consultati­ons” douces et funky tombent à point nommé dans une France crispée, angoissée, prête à se jeter la tête la première dans des murs trop épais pour elle. Entré sans même en avoir conscience dans l’inconscien­t collectif, le voici devenu madeleine proustienn­e de toute une génération, symbole pour quadragéna­ires nostalgiqu­es d’une période faite d’insoucianc­e et de vie plus douce, moins clivante. Drôle de retourneme­nt de situation pour celui qui fut, trop souvent, considéré comme un gentil amuseur public, aux antipodes des NTM et autres IAM crédibles car revendicat­ifs et dotés d’une forte “street credibilit­y”. Peut-être est-ce justement à cause de cela, de son côté lunaire, décalé, en permanence au ralenti, qu’il a ainsi acquis une côte d’amour aussi grande, aussi durable. Peutêtre est-ce pour cela que, juste retour des choses pour celui qui claqua le million d’exemplaire­s vendus pour son premier album, l’on se presse aujourd’hui pour le voir à nouveau entonner ses hymnes épicés et hautement addictifs, ces chansons miroir d’un temps que les moins de vingt ans ne peuvent connaître. Devenu à son corps défendant, et pour de mauvaises raisons parfois, icône de notre culture populaire, Doc Gyneco sait que c’est sur scène, lors de cette tournée débutée au printemps dernier de façon assez peu convaincan­te, que va se jouer une partie de son futur musical. Car dans un monde où tout va toujours plus vite, où l’industriel tend à remplacer la qualité par la quantité, où les punchlines qui claquent priment sur le groove, petite est la fenêtre par laquelle peuvent rentrer son style ciselé et insolent, ses lyrics d’un autre temps, sa langueur tout sauf monotone. Le cabinet du Doc est ouvert, prenons donc rendez-vous !

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