Le Petit Journal - Catalan

L’intelligen­ce du coeur

- Alain Paga

Lors de sa dernière visite hebdomadai­re à la Maison de retraite pour y rencontrer son amie Simone, Mathilde a eu avec elle la même discussion animée sur un sujet qui revient fréquemmen­t. Simone prétend être «une grosse bête» parce qu’elle n’a pas fait de longues études. Elle a dû commencer à travailler de bonne heure, à l’usine, afin de ramener un salaire de plus à la maison. Elle reconnaît que, d’ailleurs, elle n’aimait pas beaucoup l’école... Elle se dit souvent envieuse de Mathilde qui sait parler, écrire et qui fréquente du beau monde. Et lorsque Mathilde lui répond qu’elle préfère sa compagnie à celle de tous ces gens qui se croient importants, qu’elle apprend d’avantage en l’écoutant, elle, Simone se fâche.

C’est vrai qu’on peut rencontrer de très grands esprits qui ont étudié toute leur vie et qui sont malgré tout restés abordables, simples, chaleureux et attentifs aux autres. Mais ils sont rares et ils ont développés ces qualités bien qu’ils soient passés dans le moule de l’université (le «soleil noir », comme l’appelait feu le mari de Mathilde) qui déshumanis­e et isole.

Simone a eu une vie difficile, à compter ses sous et à se priver du superflu. Mais parce qu’elle a du coeur et un regard vif et juste sur la vie et les gens, elle s’est construit une authentiqu­e philosophi­e qui lui a permis de s’accomoder du peu qu’elle avait. Et même si, grâce à ses sacrifices et à son travail acharné, elle se retrouve à la tête d’un vrai capital, auquel elle n’a d’ailleurs pas accès, elle vit avec le minimum comme elle l’a toujours fait.

Ce point de vue sur la vie permet à Simone de rester attentive aux autres et sensible aux misères de notre monde.

Venons-en à leur dernière «dispute». Simone a été invitée par une autre résidente, d’un statut social supérieur au sien, mais qui prend beaucoup de plaisir à la fréquenter. Cette dame aimerait lui montrer le travail de son mari défunt. Et Simone affirme qu’elle n’ira pas parce qu’elle serait très embarassée. Elle ne saurait pas quoi dire. Mathilde lui a alors expliqué qu’elle se trompait. Qu’elle ferait simplement un immense plaisir à cette femme en s’intéressan­t à ce qui la passionne, car ce serait pour elle l’occasion de parler de son cher disparu. Qu’il faut simplement qu’elle ouvre son coeur comme elle sait si bien le faire et qu’elle l’écoute. Car en général les gens ont envie de parler de ce qui les intéresse, mais il y a bien peu de gens qui sachent écouter.

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