Toujours premier

Je vous ai souvent parlé de mon amie Mathilde et des moments privilégiés que nous passons ensemble à refaire le monde et à évoquer nos souvenirs d’enfance.

Cette fois nous avons pas eu ce loisir car elle avait la garde de son arrièrepetit-fils qui vient d’avoir cinq ans. Nous sommes allés marcher et l’accompagner faire de la bicyclette avec son vélo à quatre roues. Avant même de me dire bonjour le petit homme m’a déclaré : «Tu sais, à l’école, moi je suis toujours premier !» « Ah bon ! c’est si important que ça ?» «Oui. Mon papa dit que si on n’est pas le premier partout on sera chômeur plus tard.» « Eh ben dis donc ! Qu’est ce qu’il va y avoir comme chômeurs si seulement les premiers de classe ont du travail et pas les autres !» «Et puis mon papa il a dit que si j’étais pas premier il ne pourrait plus m’aimer autant. Je ne serai plus son petit garçon parce que lui, il était tout le temps premier.» « Alors tu crois que tous les autres enfants qui ne sont pas premiers ne sont pas aimés par leurs parents ? Tu devrais leur poser la question...» Il y eut un silence et le petit a ajouté « De toutes façons c’est mon papa qui l’a dit ! Alors...»

Quand il s’est éloigné sur son vélo, à toute vitesse pour que surtout nous ne puissions pas le dépasser, Mathilde m’a avoué qu’elle était désolée de voir la pression qu’on mettait déjà si jeune sur cet enfant. Quand on sait que pour apprendre, pour progresser, il faut se tromper et rectifier ; qu'il faut savoir perdre pour mieux gagner ensuite. Qu'il faut réussir mais aussi laisser réussir les autres à leur tour. Cultiver les domaines où on est bon et qui plaisent et accepter d’être moins performant ailleurs où un autre réussira et fera équipe avec nous.

Nous sommes encore loin du monde parfait que nous construisons dans nos conversations avec Mathilde.