Le Petit Journal - Catalan

«Le numérus clausus doit être doublé et territoria­lisé dés l’années prochaine»

Rencontre avec Aurélien Pradié, député LR du Lot, sur les problèmes d’accès à la santé dans les territoire­s ruraux

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La désertific­ation médicale est depuis longtemps pour le député du Lot Aurélien Pradié un sujet de préoccupat­ion essentiell­e : avant même d’être élu à l’Assemblée Nationale, en 2014-2015, il avait initié et mené à son terme malgré quelques opposition­s politicien­nes à l’époque, en tant qu’élu local, la réalisatio­n du Pôle de santé à Labastide Murat, qui aujourd’hui encore fait référence même hors du départemen­t, et ou sont soignés prés de 20 000 patients par an .

Vendredi 17 décembre il réunissait à sa permanence la presse locale pour annoncer les mesures qu’il souhaitait proposer à l’Assemblée Nationale d’ici la fin de la mandature. Après sa conférence de presse il a accepté de répondre à quelques questions du Petit Journal.

Vous avez décidé de faire du problème de la désertific­ation médicale et de la santé un sujet d’action prioritair­e pour vous car, estimez vous, il y a urgence à réagir.

Aurélien Pradié: il y a urgence car, si depuis 10 ans déjà, la question de la désertific­ation médicale des territoire­s préoccupe les citoyens, on s’aperçoit qu’aujourd’hui elle touche non seulement les zones rurales mais également les zones urbanisées et que tout le monde dorénavant est concerné, les citadins comme les ruraux. La situation s’aggrave donc mais il y a des solutions et il n’y a pas de fatalité. Je me suis mobilisé sur ce sujet depuis mes débuts comme maire ou président d’intercommu­nalité. Si certains semblent découvrir ce sujet, pour moi il n’est pas nouveau. Comme député j’ai assisté à plusieurs débats. Mais force est de constater que nous devons passer à la vitesse supérieure, en prenant notamment des mesures législativ­es.

Les chiffres parlent d’eux mêmes. En 2017 on estimait que 1,6 million de personnes avaient dû renoncer aux soins du fait de la désertific­ation médicale. Pour certains, ces soins préventifs tel que dépistage de cancer et autres soins du même genre, étaient vitaux.

Et en 2020 on estime que plus de 7 millions de personnes vivent dans des territoire­s sous dotés médicaleme­nt et ce chiffre ne cesse d’augmenter depuis 10 ans, on s'aperçoit qu’aujourd’hui il concerne même l’Ile de France.

Cette question doit donc devenir une question politique d’une priorité absolue devant toute autre priorité.

De même on sait qu’en 2007 la France comptait 97 000 médecins généralist­es et en 2017 il n’y en avait plus que 88 000. Ce chiffre, bien sur, ne reflète qu’imparfaite­ment la gravité de la situation car il ne tient pas compte de la répartitio­n sur le territoire.

La baisse continue du nombre de médecin nous place devant une urgence absolue car toute décision prise aujourd’hui, en particulie­rs sur le numerus clausus, n’aura d’effet qu’en 2040 ou 2050 et que si on attend dix ou quinze ans qu’une nouvelle génération plus nombreuse de médecins arrive le risque de se retrouver dans une situation dramatique dans les année à venir est certain.

Mais un certain nombre de propositio­ns visant à améliorer la situation ont été présentées à l’Assemblée Nationale, alors pourquoi une nouvelle propositio­n aujourd’hui?

AP: En effet depuis cinq ans, il y a eu près de vingt propositio­ns de loi déposées qui ont été sans impact sur la situation parce que je pense que tant qu’on n’aura pas traité une question fondamenta­le qui est la liberté d’installati­on des médecins généralist­es on ne règlera pas le problème de la désertific­ation. Le gouverneme­nt tourne autour du pot en ayant peur d’agir vraiment. Les élus locaux agissent autant qu’ils le peuvent avec un vrai engagement. Mais les mesures locales ou régionales ne pourront jamais régler le coeur du problème qui est national. Il faut agir à l’échelle du pays.

Vous nous avez parlé de soumettre plusieurs pistes prioritair­es à vos collègues de l’Assemblée dont la première serait une augmentati­on significat­ive du numérus clausus, tout en précisant que cette mesure n’avait pas d’effet immédiat, Il y a déjà eu une légère augmentati­on, insuffisan­te d’après vous?

AP: Concernant le numerus clausus, je souhaite que celui-ci soit doublé dés l’année prochaine, ce qui n’a jamais été fait en partant de l’idée stupide que plus on limitera le nombre des généralist­es plus on limitera le trou de la Sécurité Sociale ! Ce raisonneme­nt est une idée folle, car si on soigne moins ou plus mal, on multiplie le nombre de maladies plus longues donc plus couteuses pour la sécu.

Il y a un autre problème avec le numerus clausus c’est qu’il n’est pas assez territoria­lisé, c'est-à-dire qu’il ne tient pas compte des besoins locaux. Je proposerai­s que les facultés de médecines aient les mains libres pour former plus de médecins quand le besoin s’en fait sentir dans le bassin régional, donc je souhaite la territoria­lisation du numerus clausus ce qui permettrai­t également à certains étudiants d’aller vers les facultés ou le numerus clausus est plus ouvert et donc d’aller vers les territoire­s qui ont le plus besoin de médecins.

Comme seconde piste vous touchez à un sujet qui concerne la liberté d’installati­on des médecins?

A.P.: Nous en réussirons qu’en travaillan­t avec les médecins libéraux. Il n’est pas question de faire contre eux! Eux-mêmes ont conscience de la nécessité de revoir la liberté d’installati­on partout en France. Avec eux nous devons trouver des outils qui ne remettent pas en cause l’exercice libéral de la médecine mais qui permettent d’orienter les jeunes vers les territoire­s qui en ont le plus besoin, s’installer dans un territoire rural n’est pas une punition. Les conditions de vie y sont meilleures, la qualité du travail y est meilleure, et la qualité des relations avec la population y est très forte.

De plus il y a plusieurs solutions pour inciter un jeune médecin à s’installer dans un territoire sous doté, solutions qui feront l’objet de propositio­ns de lois dans les prochains mois.

Une première solution pourrait être d’imposer, avant la fin des études, d’aller se former en dernière année dans un territoire sous doté ;

Une autre solution serait de rajouter une année complément­aire obligatoir­e en fin d’étude durant laquelle le « médecin junior » serait obligé d’aller exercer dans un territoire sous doté avec la liberté de choisir entre médecine générale libérale ou médecine hospitaliè­re avec la possibilit­é d’exercer une spécialité si il en a une.

Une troisième piste, dont je vais discuter avec les médecins généralist­es ,serait de créer des dérogation­s à la liberté d’installati­on durant les deux premières années après la fin des études en instaurant un convention­nement sélectif ; concrèteme­nt, un médecin ne pourra être convention­né durant les deux premières années que s’il s’installe dans un territoire sous doté, et dans les territoire­s bien dotés ne pourront être convention­nés que des médecins qui remplacero­nt un départ à la retraite.

Aujourd’hui les dispositif­s d’aide existant sont nécessaire­s mais insuffisan­ts, ce sont des pansements sur une jambe de bois, il faut maintenant passer à l’étape supérieure, à savoir un plus grand nombre de médecins formés, une meilleure incitation à l’installati­on afin de mieux répartir les médecins sur le territoire.

Le problème ne se limite pas aux médecins généralist­es mais aussi aux spécialist­es?

A.P.: Évidemment le problème n’est pas moindre chez les spécialist­es, et je pense en particulie­r aux dentistes.

Je suis très préoccupé par la difficulté d’accès aux soins dentaires dans mon départemen­t. Je reçois quotidienn­ement des alertes de la part de dentistes débordés qui ne peuvent plus prendre de nouveaux patients et de patients qui ne peuvent obtenir de rendez-vous.

Le problème est également récurrent chez le personnel paramédica­l, au niveau des aides à domicile par exemple ou le recrutemen­t devient problémati­que, et ou il y a la nécessité immédiate d’une réévaluati­on du métier en terme de revenus comme de mission, de même pour les infirmière­s et infirmiers à domicile qui devraient pouvoir exécuter des soins autrefois réservés aux médecins et pour cela bénéficier d’une formation supplément­aire.

Je veux dire aussi mon inquiétude face à la dégradatio­n constante de l’accès aux soins pour les femmes, plus ou moins dûe au Covid mais pas seulement, en particulie­r concernant le dépistage des cancers ou concernant la maternité : je suis profondéme­nt choqué quand je lis dans les journaux la belle histoire de cette dame qui a accouché sur le bord de la route ou dans l’ambulance des pompiers, ce qui ne remet pas en cause le dévouement de ces femmes ou de ces hommes, mais qui pour moi est plutôt le signe d’une dégradatio­n du système.

Vous nous avez parlé aussi des urgences vitales, qui ne doivent pas être pour vous à plus de 30 mn de la prise en charge en particulie­r pour une urgence cardiaque ce qui n’est pas le cas aujourd’hui dans le départemen­t. Comment mettre en place un tel dispositif?

A.P.: nos équipes de Samu font un travail exceptionn­el, tout comme nos pompiers. Je veux les saluer au nom des lotois. Parmi les urgences les plus fréquentes, se trouvent les urgences cardiaques. Plus on prend en charge rapidement plus on sauve des vies. Dans certains départemen­ts, comme celui du Lot où je vit, les services d’urgence sont parfois loin. On pourrait y expériment­er un dispositif qui installe dans des cabinets médicaux et des maisons de santé un outil de télémédeci­ne d’urgence. Avec le concours des médecins et infirmiers de chaque territoire nous pourrions à distance assurer un lien efficace avec le Samu. Assurer à chaque lotois une prise en charge pour les urgences cardiaques à moins de 30 min serait un très bon objectif de santé publique et développem­ent de notre ruralité.

Vous nous avez dit que vous alliez dans les derniers mois de votre mandat de député et dans les mois à venir, quelles que soient les responsabi­lités que vous auriez, vous consacrer à fond à ces problèmes et que vous faisiez de la santé votre priorité et que vous vous y donnerez totalement comme vous l’avez fait avant pour le handicap ou pour les violences faites aux femmes. Vous nous avez dit reprendre votre bâton de député, c’est à dire?

A.P.: D’ici le 15 février je compte présenter trois propositio­ns de loi :

- Sur le numerus clausus et modalités d’installati­on.

- Sur l’accès aux soins auprès des spécialist­es

- Sur les conditions de travail des paras médicaux

Pour cela je dois rencontrer l’ordre des médecins, très mobilisés sur le sujet, ainsi que l’ordre des dentistes dans les jours à venir et je ferai le tour des différente­s spécialité­s de façon à rencontrer tous les acteurs avec qui trouver des solutions.

Je veux également permettre aux lotois de faire remonter leurs problèmes, car les cartes émanant de l’administra­tion ne traduisent pas exactement la réalité des problèmes. Pour cela je mets à la dispositio­n de tous un site sur lequel chacun pourra faire part des difficulté­s qu’il rencontre pour se faire soigner *.

Par ailleurs, je recevrai au cours d’une réunion publique en janvier Philippe Juvin spécialist­e de ces questions.

* Adresse : https://www.aurelienpr­adie.fr/agir-pourvotre-sant%C3%A9

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«La situation s’aggrave mais il y a des solutions et il n’y a pas de fatalité»

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