Le Petit Journal - du Tarn-et-Garonne

UN ÉTAT DE GRANDE DÉTRESSE

Josiane : « Je suis prête à faire la grève de la faim. »

-

« Je suis étourdie par les difficulté­s de ma vie aujourd’hui. Je suis donc résolue à poursuivre mon combat… »

En novembre dernier, nous avions rencontré Josiane Rescat, 64 ans, aidant familial et demeurant sur la commune de La-ville-dieu-du-temple. L’occasion pour cette femme de coeur, toute dévouée à sa maman Colette, âgée de 81 printemps et atteinte de la maladie d’alzheimer, de se confier dans nos colonnes sur son désespoir au quotidien. P

lus de trois mois se sont écoulés depuis notre entretien. Devant faire face à de nombreuses difficulté­s personnell­es, Josiane s’est beaucoup investie pour faire évoluer les conditions des aidants familiaux.

• Le Petit Journal : Vous semblez toujours aussi mobilisée face aux difficulté­s que rencontren­t les aidants familiaux au quotidien…

Josiane Rescat : Depuis le 8 novembre dernier, j’ai mené un combat sans merci avec des kilomètres de mails et beaucoup de temps passé à des recherches d’informatio­ns que les profession­nels ne nous délivrent pas spontanéme­nt. Elles sont pourtant nécessaire­s, afin de résoudre mes problèmes sans toutefois y parvenir. Je dénonce des problèmes de fond et gravement enkystés dans l’assistance aux familles de proches dépendants. Nous sommes 11 millions à souffrir. Preuve en est, les associatio­ns d’aide aux aidants se multiplien­t, avec de l’écoute jusqu’à minuit. Bientôt devrait voir le jour SOS Aidants, mais les conseils donnés par téléphone se télescopen­t avec les déficience­s abyssales des moyens proposés. Parfois, je pense que parler ne sert plus à grand-chose…

• LPJ : Quelles sont vos principale­s revendicat­ions pour faire évoluer les choses?

Je lance un appel solennel à tous les politiques pour la prise en compte dans leur programme électoral d’une vraie politique de soutien aux familles touchées par ces maladies dévastatri­ces. Notre modèle social actuel est très gravement déficient pour subvenir aux besoins d’aide à minima, financier et humain. Je déplore l’abord plutôt timide de ce sujet, voire inexistant dans la campagne électorale.

• LPJ : Sur le plan financier, des améliorati­ons pourraient-elles être envisagées ?

Il serait urgent de prévoir l’exonératio­n totale de l’ensemble des charges patronales liées aux emplois à domicile des personnes dépendante­s. Le recours forcé par la dépendance à devenir employeur, contre son gré, exige de l’etat une approche législativ­e que je dirai “bienveilla­nte”. Il y a urgence ! Dans le même ordre du soutien à accorder aux familles, il serait opportun de ne plus limiter le plafond des dépenses ouvrant droit à crédit d’impôts. A ce jour 12 000 € par an soit 1000 € par mois, cas le plus général. Facturées à 23€ de l’heure, les services à la personne se transforme­nt en gouffres financiers, quand parallèlem­ent les subvention­s de l’état, L’APA, restent minimes, en rapport du coût réel des prestation­s à régler. Compte tenu de la nécessité absolue au recours d’aide, il n’est plus acceptable d’assimiler ces dépenses à des dépenses de confort de vie et de qualifier ce crédit d’impôt de niche fiscale plafonnée. Il s’agit de concourir à une véritable aide fiscale pour maintenir nos aînés dépendants à domicile. Ca tombe bien, les maisons de retraite sont engluées, et spécifique­ment les unités de personnes très dépendante­s.

• LPJ : Josiane, on vous sent très en colère, mais trois mois après notre rencontre, qu’en est-il exactement de votre situation ?

Trois mois après l’article, c’est la grande désillusio­n qui se transforme en état de grande détresse. Oui, j’appelle au secours et il va falloir que ça cesse. Les mots sont forts, mais je suis gravement en mesure d’en justifier l’utilisatio­n… Et j’en ai assez de «crever », pour la seule raison que maman est malade. Moi et tous les autres aidants familiaux, qui avons exprimé nos grandes difficulté­s.

• LPJ : Pourquoi dites vous en état de grande détresse, pouvez-vous préciser ?

Parce que depuis maintenant plus de 6 mois, les acteurs sociaux m’assurent de semaine en semaine, que je vais avoir de l’aide. Nombre de réunions ont été organisées sous trois jours à mon domicile. On se montre attentif et bienveilla­nt à la descriptio­n de ma problémati­que... Pourtant, à ce jour, le constat est sans appel d’une absence criante d’aide. Je suis seule, absolument seule du vendredi 11h au lundi 9h… Et de surcroît, je subis des pressions pour avaliser un plan d’aide totalement inadapté aux besoins de maman. Si l’aide n’est pas appropriée, elle ne sert à rien, si ce n’est qu’à payer cher une source d’épuisement et de contrariét­é supplément­aires. Parfois, l’aidant préfère renoncer et c’est l’impasse la plus totale au domicile. Je clame souvent par courrier que la dépendance ne connaît pas les week-ends, jours fériés et ponts. Tout le monde me semble sourd. Actuelleme­nt, j’intérioris­e une grande source d’épuisement, de désespoir, et de révolte.

• LPJ : Au mois de novembre, vous aviez évoqué des problèmes liés aux soins d’hygiène de votre mère. Les avezvous résolus ?

En effet, en marge de l’aide, il y a le problème de l’hygiène. Tous les acteurs sociaux connaissen­t parfaiteme­nt les problèmes actuels du secteur de l’hygiène à domicile, mais cachent cette réalité aux familles en attente. Ils savent tous que dès que l’aidé est un peu plus dépendant que la moyenne, et nécessite plus de temps et d’attention à consacrer, le personnel sollicité répond qu’il n’a pas le temps ou tout simplement ne répond pas. Une prestation doit aller “vite“. Oui, le mot est lâché. Oui, le temps c’est de l’argent. C’est le malade qui donne le rythme et le tempo. Comme je l’ai souvent dit à mes interlocut­eurs profession­nels ; c’est la solution qui s’adapte au malade et non le contraire. C’est sûr, on ne va pas laver maman comme on lave une voiture. Il faut de l’énergie, de l’attention, de la patience, du temps, de la générosité et je dirais même de l’humanité.

• LPJ : Aujourd’hui, comment solutionne­r ce problème au quotidien ?

Je n’ai pas vraiment de réponse précise des profession­nels. Un acteur social m’a dit début Juillet ; « Il vous faut une infirmière tous les jours pour la toilette. » Oui, bien sûr, mais, je n’ai toujours personne d’habilité pour l’hygiène à maman qui, je souligne est incontinen­te. Je sais, malheureus­ement, que je ne suis pas la seule confrontée à cette situation qui relève de l’ubuesque dans notre société, où l’on parle du droit à l’hygiène et du caractère illégal de ne pas avoir une hygiène effective quand on est dépendant. Je n’hésite pas à qualifier cette situation de plus en plus courante partout en France d’un véritable scandale sanitaire à domicile.

• LPJ : Vous êtes, également, en lien avec diverses associatio­ns…

J’ai découvert dernièreme­nt l’existence de l’associatio­n France Dépendance qui vient d’adresser une lettre ouverte à Mariesol Touraine, notre Ministre de la Santé. L’objet de cette lettre est de demander une révision des conditions d’attributio­n du GIR et de dénoncer la promulgati­on ce cette nouvelle loi au 1er Janvier 2017, qui va imposer aux chefs d’entreprise­s l’octroi de congés sans solde, aux aidants actifs. L’etat légifère donc, pour dépouiller en partie le monde du travail pour aider à domicile ! Mais, c’est quoi, l’aide ? Quand il faut se substituer aux profession­nels quand ils s’avèrent absents comme dans mon cas ? L’aidant est pris en otage de fait, à domicile, prisonnier d’une situation totale d’injonction à aider, voire à secourir, en répondant à une demande d’aide toujours croissante et de formes diverses, liées à l’aggravatio­n de la maladie.

• LPJ : On vous sent épuisé par ce que vous vivez…

Oui, et quand l’aidant crie son épuisement ; on hospitalis­e l’aidé ! Cet été, mon épuisement a couté dix jours d’hospitalis­ation de maman qui hurlait dans sa chambre mon absence à ses côtés et 13 000 € à la sécurité sociale.

• LPJ : Votre constat, dans sa généralité, est plutôt accablant… Nous sommes 11 millions d’aidants familiaux et, malheureus­ement, ce chiffre qui cache un tel lot de souffrance­s à domicile va inexorable­ment augmenter. Par suite de l’accroissem­ent exponentie­l de ces maladies dites de civilisati­on. Attention, l’adage dit: “Ca n’arrive qu’aux autres”, et fatalement, sans vouloir cultiver un pessimisme ambiant, beaucoup d’entre vous vont devenir “Ces autres”. Oui, beaucoup d’entre vous sont des aidants familiaux potentiels. Moi, je peux témoigner: Ca vous arrive comme une météorite venue d’on ne sait où ? Au début on fait face, en restant optimiste et positive, en réunissant ses forces pour combattre l’adversité de la maladie qu’inconsciem­ment, on n’accepte pas vraiment tout en la défiant. Mais, inexorable­ment, la maladie gagne, on se persuade encore qu’on fera corps avec son proche pour lui épargner le diktat du mal qui ne demande qu’à progresser et un jour, on baisse la garde et on appelle à l’aide. Beaucoup de futurs retraités n’imaginent pas comment va être impactée une partie de leur retraite.

• LPJ : En conclusion, Josiane, qu’elle serait votre souhait ?

Il va bien falloir qu’on devienne visible et que la société apporte de vraies solutions, pas des solutions qui ont pour incidence d’écourter notre espérance de vie comme en témoignent les statistiqu­es. Toutes les mairies de France affichent, liberté, égalité, fraternité, mais pour nous les aidants ? Y aurait t- il un grand avocat pour défendre le droit à l’hygiène? Eh oui, début 2017, à la veille d’une nouvelle élection présidenti­elle, voilà une nouvelle cause à défendre. Le droit à l’hygiène à domicile des personnes âgées dépendante­s. Pour l’aidant, pas de loi du travail, pas d’arrêt de travail, pas de week-end, pas de pont, pas de temps partiel choisi, pas de compte pénibilité, pas de syndrome d’épuisement profession­nel, pas de droit à la déconnexio­n… Je pensais consacrer mon temps de retraite déjà à être libre, puis oeuvrer pour l’écologie, le bien être animal… Changement de programme car maman a besoin de moi. J’ai besoin de la société qui n’est pas au rendez-vous. Je suis étourdie par les difficulté­s de ma vie aujourd’hui. Je suis donc résolue à poursuivre mon combat via les médias et dès que je pourrai par la création d’une associatio­n véritable porte parole de la souffrance des aidants et tuteurs à la personne, puisque tel est mon cas. Il va bien falloir s’y intéresser vraiment au statut des aidants familiaux. Je vais faire un appel solennel à tous les politiques et entamer une grève de la faim car je suis à bout de forces.

Vous pouvez joindre Josiane à l’adresse suivante : ambal.colette@bbox.fr

La dépendance ne connaît pas les week-ends, jours fériés et ponts. Quand l’aidant crie son épuisement, on hospitalis­e l’aidé Je suis seule, absolument seule du vendredi 11h au lundi 9h

 ??  ??
 ??  ?? Devant faire face à de nombreuses difficulté­s personnell­es, Josiane s’est beaucoup investie pour faire évoluer les conditions des aidants familiaux.
Devant faire face à de nombreuses difficulté­s personnell­es, Josiane s’est beaucoup investie pour faire évoluer les conditions des aidants familiaux.

Newspapers in French

Newspapers from France