Le Petit Journal - du Tarn-et-Garonne

Pour ne pas déranger

- Alain Paga

Mathilde apprécie sa plus proche voisine, Geneviève, qui vient d’avoir 89 ans. Descendant­e d’une des plus grandes famille de la ville, élevée par un père militaire

- sa mère est morte lorsqu’elle avait huit ans elle a reçu une éducation à l’ancienne. Avec la simplicité et la discrétion des vraies personnes de qualité, très aimable, toujours souriante, tirée à quatre épingles, Geneviève ne fréquentai­t personne et découragea­it les approches de Mathilde qui aurait aimé mieux connaître cette femme qui la fascinait et l’intriguait à la fois. Ce matin tous les habitants du quartier sont en état de choc. La femme de ménage arrivée à 9 heures, comme chaque jour, a retrouvé sa patronne sans vie. Elle s’est suicidée. Mathilde se souvient que la vieille dame avait évoqué cette éventualit­é au moment de la mort de son chat, il y a deux mois. Elle s’en veut ne ne pas avoir été plus à l’écoute. Dans un isolement trop grand, la déprime peut s’installer. On n’arrive plus à faire ce qu’on accompliss­ait encore récemment ; on se sent inutile, dévalorisé. Il suffit d’un élément déclenchan­t - comme la perte d’un animal de compagnie ou un handicap de plus lié à l’âge - pour passer à l’acte. Notre société se scandalise, à juste titre, du suicide chez les très jeunes gens, interprété comme une demande d’aide. Celui des «vieux» est souvent considéré comme légitime : un choix «sensé» : celui d’avancer un peu l’heure de sa mort. À cette étape de la vie il y a très peu de suicides ratés. Il ne s’agit plus d’un appel au secours mais d'un désespoir sans remède.

Un oeil cynique peut faire la différence entre ces deux attitudes : le jeune, en se suicidant, prive la société de sa productivi­té encore à venir ; la personne âgée a déjà donné tout ce qu’elle pouvait et n’a plus aucune valeur «marchande». Et les plus fragiles choisissen­t de partir «pour ne pas déranger». Même si nous avons tous, un jour ou l’autre, considéré cette solution définitive comme un remède à notre mal-être, le suicide n’est jamais la bonne solution. Car elle apporte une réponse définitive à un problème qui, lui, est pratiqueme­nt toujours provisoire.

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