Le Petit Journal - L’hebdo des Hautes-Pyrénées

Incroyable

-

Nous avons pris l’habitude de nous retrouver, un soir par mois, pour un repas chez Mathilde. Depuis toujours, cela tombe un lundi. Mais il y a quelque temps, Mathilde nous a dit qu’elle préférait le mercredi. Puis elle a voulu revenir au lundi. Nous avons fini par lui demander des explicatio­ns. Et nous n’en avons pas cru nos oreilles. Notre amie, l’intello, et de loin, de notre bande, est passée aux aveux. Non sans difficulté ni hésitation. Elle s’est d’abord mise en colère. Elle estimait avoir tout de même droit à un jardin secret qu’elle entendait protéger de nos gros sabots. Elle nous a ensuite avoué qu’elle craignait de nous décevoir. Tant pis. Le mercredi, depuis plusieurs semaines, elle n’était plus libre en soirée car elle regardait la série américaine «New Amsterdan» sur la une. Et elle en était devenue complèteme­nt accro. Comme, précédemme­nt du «Bazar de la Charité» le lundi soir. La stupéfacti­on nous a laissé sans voix. Un long silence a été suivi d’un fou rire général qui signait notre incrédulit­é. Et Mathilde s’est encore mise en colère. Elle avait bien pensé visionner les épisodes après coup mais elle était trop impatiente de savoir ce qui allait arriver aux Docteur Laura Bloom, Iggy Frome, Max Goodwin, Vijay Kapoor, Floyd Reynolds, Helen Sharpe et aux autres. Pendant ses moments de solitude où lorsqu’elle a du mal à trouver le sommeil, elle pense à eux comme à des amis. Leur empathie, leur générosité, leur déterminat­ion à aider et à soulager ceux qui souffrent lui font du bien, surtout en cette période morose, difficile et triste dans sa vie personnell­e. Elle aime se sentir anonyme au milieu de tous ces gens simples - les «gens de peu» comme les nommait le philosophe Pierre Sansot - dont elle se sent partie prenante. Ce petit peuple qu’on a toujours consolé de son pauvre sort en lui fournissan­t du rêve. C’étaient les jeux du cirque, la commedia dell’arte, mais aussi les feuilleton­s, puis la presse du coeur. Enfin les séries télévisées. Le mari de Mathilde, écrivain et théoricien de haut niveau, pensait qu’il était important de savoir ce que les gens les plus simples avaient dans la tête, ce qui faisait «l’air du temps», afin de garder les pieds sur terre et de trouver le ton et le vocabulair­e les plus abordables possible pour faire passer les démontrati­ons complexes. Tel l’exemple par excellence de Montaigne, toujours d’actualité grâce à sa simplicité. Mathilde revendique son droit de rêver pour mieux supporter le quotidien. Et elle nous a rassurée. Nous pourrons rapidement retrouver nos mercredis soir, car la série «New Amsterdam» va s’interrompr­e rapidement.

 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from France