Le Petit Journal - L'hebdo local de l'Aude
Souvenirs d’une enfance heureuse
Ma mémé Louise a été pour moi une mémé gâteau.
Sa petite maison sur deux étages, avec ses coins sombres, son grenier véritable « grotte à trésors », sont des lieux où sont gravés des souvenirs d’enfance sur lesquels je reviendrais.
Mais, le premier souvenir que j’ai de ma mémé Louise, date de la journée de cette sacrée colique de bébé !
C’était en hiver ! En janvier. Ce jour-là, mes parents étaient très occupés, comme chaque année à la même époque. Ils préparaient les salaisons, le jambon, l’épaule, les saucisses, les boudins, le lard, la ventrèche, les pâtés, la graisse du demi porc qui constitueraient avec quelques lapins l’essentiel de la consommation de viande annuelle.
Mais pour moi, qui commençait à peine à marcher et à parler, mes préoccupations, n’étaient pas les mêmes. Mon monde était ailleurs. Malgré mes cris, mes pleurs et tout le coeur que je mettais à remuer ciel et terre, malgré mes tortillements et les caresses de mémé sur mon ventre douloureux, rien n’arrivait à dominer mes douleurs !
Douleurs qui partant du ventre, envahissaient tout mon corps tant vers la tête que vers mes... pieds. Je gigotais comme un dément entre les bras meurtris de mémé qui ne savait plus que faire ou donner de la tête !
Et il faisait chaud dans la petite cuisine, où malgré mes pleurs, mémé suivait les travaux de maman et papa, leur donnant entre mes cris des conseils sur tel ou tel détail. Moi, je tressautais par moment car ça gargouillait dans mon ventre : ça montait, ça descendait, mais rien ne se passait d’autre qu’augmenter mes douleurs et mes… hurlements, suivis de l’explosion !
Je me tordais toujours de douleurs dans les bras de mémé Louise et mon ventre gargouillait dans tous les sens.
Elle me parlait calmement, avec douceur. Avec tendresse, elle me faisait mille baisers dans le cou, sur les mains, sur mon ventre douloureux qu’elle caressait de ses mains un peu rugueuses.
Elle venait de me retirer mon pantalon et mon slip pour me mettre le suppositoire libérateur et me promenait dans la petite cuisine, en me faisant tressauter d’un bras dans l’autre. Elle me chantait : « Lou pétit fara un pét et maïl qu’ un pét et sara guérit ! (le petit fera un pet, plus qu’un pet et il sera guéri !).
Et, je me souviens encore de ses cris, lorsque je me raidis de tout mon corps et que dans un spasme libérateur, j’expulsais un magma puant (cause de mes douleurs) sur les bras, les mains, les joues et les vêtements de mémé !
Mais tout le monde, fut soulagé de me voir enfin rire de soulagement. D’autant plus que l’expulsion malodorante et semi liquide, même si elle avait sali mémé (1), n’avait pas atteint la table où étaient posées les cochonnailles.
Le soir, au souper, toute la famille riait de mon « exploit » autour d’ une table où siégeaient pâtés, abats frits, pain de campagne et vin rouge.
Les grandes personnes accompagnaient ces charcutailles de bon vin des Corbières. Et moi, mes boyaux enfin délivrés, je goûtais un peu à tout et je découvrais de nouvelles saveurs. J’apprenais la différence entre le foie, le poumon ou la langue de porc.
Mais, je n’avais pas encore droit au vin !
(1) Elle avait dû aller se laver dans un seau à vendange - il n’y avait pas d’eau chaude au robinet, ni de douche à cette époque et nettoyer ses vêtements.