Le Petit Journal - L'hebdo local de l'Aveyron
Où est passée notre « Madelon » ?
Un matin de 1950, dans le village d’Agen d’Aveyron, un troupeau de brebis monte au pâturage en suivant lentement le vieux berger Alfred.
Son chien fidèle houspille la gourmande attardée qui broute au passage.
Alfred, moustache tombante sous son large béret crasseux, se traîne sur ses béquilles et sa jambe unique : il a perdu l’autre à Verdun, à ses trente ans.
Il sait qu’il ne doit pas flancher jusqu’à la lande, làhaut, où son troupeau se régalera d’une herbette fine et savoureuse.
Ouf ! Le voilà arrivé. Il s’assoit péniblement sur la première banquette rocheuse qu’il retrouve chaque matin sur le causse. Jusqu’à midi, il changera de trône tous les quarts d’heure, mais en tenant compte du vent, des nuages, du soleil et de la lune.
Perlou se chargera d’avoir un oeil sur le troupeau. Seules musiques dans le silence : les sonnailles de ses ouailles qui broutent sous les trilles de l’alouette.
Quelques villageoises, sur le pas de leur porte, se diront : « Écoutez ! Le temps va tenir au beau. Entendez-vous notre Alfred qui chante la Madelon ? »
Cette même année 1950, le 11 novembre, quarante poilus de notre village, assez gazés ou « gueules cassées », se rassemblaient pour répondre Mort pour la France !
Naguère, le 11 novembre 2018, la France recevait, à la flamme du Soldat Inconnu, les présidents et hauts dignitaires ayant participé à la Grande Guerre.
Pauvre Arc de Triomphe brutalement tagué et plongé l’autre samedi sous un nuage de lacrymogène.
Qui, aujourd’hui, hormis les nonagénaires dont je suis, aurait apprécié le sens profond de cette chanson si populaire qui a tant aidé à tenir le coup à tout un peuple en péril ?
Elles ont été tant de millions d’infatigables Madelon à trimer, dans les hôpitaux, dans les usines, dans les transports, dans les campagnes et dans tous les foyers de France, pour remplacer les pères et les hommes au combat.