Le Petit Journal - L'hebdo local de l'Hérault
La croisade du tambourin par Michel Sabatéry
Chronique
Le jeu de balle au tambourin est le sport traditionnel du département de l’Hérault ; le seul à y être né. Voici sa longue histoire, résumée en un article. Ma brochure vous en dira plus, si vous êtes intéressés.
Tout commence dans l’antiquité, quand des enfants (supposition) ont l’idée de se renvoyer ce qui deviendra, au fil du temps, un esteuf, une paume, un ballon ou une balle ; peu importe le nom. On peut imaginer que les premiers échanges se font à main nue. Beaucoup plus tard, les Romains se protègeront la main en l’entourant de bandelettes, et encore plus tard, on utilisera un gant ou un instrument.
Si le premier échange s’est fait hors de toutes limites, comme on peut le voir aujourd’hui sur les plages, tout va changer. Pour savoir qui est le plus précis, on trace un terrain ; le plus souvent un rectangle coupé en deux par une corde. Pour savoir qui tape le plus fort, on le trace long. C’est la naissance des jeux de longue-paume. Evidemment, la longueur va dépendre de la place disponible (généralement la place du village), du nombre de joueurs, de l’instrument et de la paume ou balle utilisée.
Pour ce qui est de l’instrument, nous avons, aujourd’hui, la raquette en bois ou palla, la raquette à tamis, etc. La raquette en peau, utilisée bien avant celle à tamis, a été interdite au Moyen-Age, afin de réserver les peaux parcheminées pour l’écriture. Pour ce qui est de l’esteuf ou balle, il était fait, le plus souvent, d’une enveloppe de cuir remplie de matériaux divers.
Le jeu de longue-paume passionnant les foules, au même titre que le football aujourd’hui, les nobles et le clergé ont eu envie de jouer. Ils ont alors eu l’idée d’utiliser des cours de château ou d’abbayes ; inventant, sans le vouloir, les jeux de courte-paume qui donneront le tennis. Il est même arrivé que, la place étant insuffisante, on utilise un mur, voire plusieurs, donnant alors naissance à des jeux où les adversaires sont côte à côte et non face à face.
Mais restons aux jeux de longue-paume pratiqués face à face. Il y en a des dizaines : la balle-pelote jouée dans le nord de la France et en Belgique, dans lequel on renvoie une petite balle avec la main protégée par un gant ; le ballon au poing, joué dans la région d’Amiens, où on renvoie un ballon avec le tranchant de la main protégée par une bande ; le jeu de longue-paume pratiqué à Paris, avec des raquettes à tamis différentes de celles du tennis ; etc.
Concernant le Languedoc, voici quelques explications sur son jeu de longuepaume. A partir du milieu du 16ème siècle, le jeu alors en vigueur est le jeu de ballon, qui a donné son nom à de nombreuses places. Le ballon d’une douzaine de centimètres de diamètre est une enveloppe de cuir, remplie d’un mélange de glaire d’oeuf et de vinaigre (le vinaigre fait coaguler la glaire et la rend élastique). Comme ce ballon est relativement lourd, la main est protégée par un manchon de bois que l’on appelle brassard. C’est avec ce brassard que les joueurs, 4 dans un camp, 4 dans l’autre, frappent le ballon, pour l’envoyer directement dans le camp adverse.
En 1861, le caoutchouc commence à faire son apparition. Des joueurs ont alors une idée : fabriquer des tambourins faits de cercles de bois sur lesquels est tendue une peau parcheminée, et remplacer les ballons par des balles plus petites. Un tonnelier de Mèze se charge de fabriquer les premiers tambourins ; d’abord en peau de porc puis en peau de chèvre. Le succès est immédiat ; un an plus tard, tous les joueurs ont abandonné les brassards en bois, pour jouer avec des tambourins. Le jeu de ballon au brassard devient le jeu de ballon au tambourin, puis le jeu de balle au tambourin.
La balle étant renvoyée plus loin, on allonge le terrain qui passe de 70 mètres environ, à 100 mètres et plus. Et comme le terrain est plus grand, on rajoute un troisième cordier que l’on appelle le tiers. Nous avons alors, dans chaque équipe, 5 joueurs : 2 cordiers, 1 tiers et 2 fonds. Particularité du jeu de tambourin : l’engagement se fait avec un battoir ; petit tambourin monté au bout d’un manche flexible de micocoulier. Je ne vais pas vous parler des règles de jeu, parfois compliquées. Si cela vous intéresse, j’organise des conférences.
Les premières années, les rencontres entre villages se font les dimanches de fêtes. Souvent, les clubs se lancent des défis où des sommes importantes sont mises en jeu. Parfois on y règle les rivalités politiques ; j’ai l’exemple d’un défi entre républicains et bonapartistes. En 1906, le club de Bessan organise un concours qui rassemble de nombreuses équipes. En 1909, c’est Pézenas qui lance son premier concours sur son magnifique jeu de la Place du 14 juillet. Vers 1922, le journal l’Eclair publie de nombreux articles sur les rencontres de tambourin et pousse des Montpelliérains à créer une fédération. De son côté, le club de Montpellier démarre un concours sur son terrain des Arceaux. A Pézenas comme à Montpellier, on compte les supporters par milliers. J’en ai trouvé 6000 à Pézenas et 8000 à Montpellier.
Il y a malheureusement une concurrence anarchique entre les organisateurs de concours et la fédération. La zizanie provoque l’arrêt de nombreux clubs. On passe de 140 clubs à une poignée. … Fin 1938, Max Rouquette, batteur dans le club d’Argelliers, mais également écrivain occitan, décide de sauver le tambourin qui est moribond. Il organise une réunion et une rencontre où il est décidé de créer une deuxième fédération, à la place de celle qui a cessé toute activité. C’est la folie. Le sport traditionnel redémarre en trombe.
La guerre va couper cet élan. Après la guerre, c’est la galère : on ne trouve plus de peaux pour fabriquer les tambourins, on ne trouve pas de fabricants de balles en caoutchouc, il y a de grosses difficultés de déplacement, etc. Le tambourin redémarre, mais difficilement. En 1954, Max Rouquette découvre l’existence du jeu de tambourin en Italie, et des rencontres internationales sont organisées.
En 1967, je relance le club de Bessan qui n’existait plus, et je crée une école de tambourin. Je fais la même chose, vers 1968, à Florensac où je suis enseignant. Louis Ganivenq démarre une compétition enfants dans le cadre de la Jeunesse et les Sports, et dans la lancée, je relance un championnat scolaire dans le cadre de l’U.S.E.P. C’est l’époque où mes élèves de Florensac remportent la plupart des compétitions.
En 1978, Louis Ganivenq a une idée géniale : le tambourin en gymnase. Quelques 25 ans plus tard, mes anciens élèves de Florensac deviendront champions de France de tambourin en salle, puis champions d’Europe à plusieurs reprises, et pour finir, l’équipe de France, composée presque exclusivement de Florensacois, et ayant comme entraîneur Laurent Amet, l’un de mes anciens élèves, sera championne du monde en 2023, après avoir battu une dizaine de pays.
J’ai essayé à peu près tous les jeux de paume ; pelote à main nue, jeu de palla ; tennis ; badminton ; etc. J’ai pu comparer et ma préférence est allée sans hésiter au tambourin. Alors, on peut se demander pourquoi ce sport magnifique est si peu connu, et pourquoi l’on parle tant de pelote-basque ou de tennis. Je vais me limiter à la comparaison entre Tambourin et Pelote. Dans le Pays-Basque, les terrains des centres historiques ont été conservés, les médias de cette région, voire nationaux, parlent de ce jeu traditionnel, et les clubs sont en relation avec des organisateurs de voyages qui envoient des touristes aux lieux de démonstrations. En Languedoc, les principaux terrains historiques, comme ceux de Montpellier, de Pézenas et de Béziers ont été transformés en parkings ; les médias régionaux sont peu ou pas intéressés ; la fédération n’a pas les moyens de sensibiliser les enseignants, etc. Bref, c’est le serpent qui se mord la queue.
Je vous ai parlé du club de Florensac, champion en gymnase, mais qui a su que la coupe d’Europe s’est jouée dans les gymnases de Florensac et d’Agde ; qui a su que pour être champions du monde, les Florensacois ont battu l’Allemagne, la Hongrie, la Catalogne, le Portugal, le Brésil, le Bénin et l’Italie en finale ; avez-vous vu une image à la télévision régionale sensée informer sur les traditions régionales ?