Le Petit Journal - L'hebdo local du Gers
Belle Dame de Brassempouy
Belle Dame de Brassempouy, accepteriez-vous de vous présenter jusqu’à dire votre âge ? Car, en bonne politesse, on ne demande pas de décliner son âge à une femme tout au moins à notre époque, dans notre civilisation et ce n’est sans doute pas celles que vous avez connues. Qui êtesvous donc? : « Celui qui m’a tirée de mon sommeil comme la Belle au Bois Dormant, m’a appelé La Dame de Brassempouy, ou Dame à la capuche».
Brassempouy dites-vous ? : «Oui du nom de lieu où un préhistorien-chercheur m’a réveillée et redonnée vie. La consonance de ce lieu est gasconne ». Faut-il penser que vous l’étiez ou bien est-ce un anachronisme ? : « Il faut rectifier c’est certain et dire : je suis des ancêtres des gascons, et d’un site bien antérieur à cette appellation : la Gascogne ». Où habitiez vous donc ? Où et quand ? Car on vous a sculptée dans l’ivoire de mammouth. Certes on n’a plus que votre tête, toute petite, 3 centimètres, le corps étant perdu et devant être une petite figurine, mais sûrement pas callipyge. Était-il donc difficile pour l’artiste de l’époque d’avoir un tel matériau ? Ce qui permet de penser que vous avez vu ces mammouths et bien d’autres gros animaux qui nous effraieraient actuellement. Vous avez vu tigres, lions, aurochs et entendu leurs cris terribles, ours, cerfs, hiboux. Aviez-vous peur ? Où vous réfugiez-vous ? : « Le plus souvent on fuyait de nos huttes vers les grottes, mais les miens n’y habitaient pas, celles-ci étant l’antre des ours en priorité. On se réfugiait, se faufilait plutôt et avec précaution au plus profond des mêmes grottes. Là, les animaux les plus dangereux pour nous n’entraient pas ». Vous nous apparaissez fine, élégante avec sur votre tête ce qui est parfois appelé résille, mantille par certains, tresses pour d’autres. Surtout, votre concentration, sérénité, quasi intériorité, impressionnent les spécialistes de l’art préhistorique. L’artiste qui vous a sculpté a t-il saisi ce qui vous habitait ? Était-il amoureux ou admiratif seulement de cette harmonie avec vous-même ? Seriez-vous, d’une certain manière et sous un autre mode aussi énigmatique que notre Joconde ? : « Les temps étaient à la fois durs et pleins d’interrogations en abîmes, par exemple lorsque le feu tombait du ciel en zig-zag et enflammait tout un pan de la forêt. Le feu ? Nous en avions peur comme devant le sacré. Je ne le transmettais à un autre groupe humain et ami ou ne le ravivait qu’après des rites spécifiques. Il y avait aussi tout ce qui touchait à la cueillette de certaines plantes dont on percevait le pouvoir, venant des dieux, de guérir blessures, fièvres, mais pas de la mort. Et lorsque nos hommes partaient à la chasse, que de craintes. Reviendraient-ils blessés, vivants ? Nous vivions bien : céréales sauvages, graines, plantes, fruits, cueillir, faire pousser, la nature était généreuse ». Si je comprends bien «belle Dame de Brassempouy » à travers la nature et dans votre existence vous aviez un questionnement ouvert à la transcendance de laquelle découlent, sens de la vie, sagesse, intuition des dieux et peut-être de Dieu. Dans tous ces traits dont l’art, un certain savoir sur la nature, vous êtes comme nous et de nous. Inversement, nous sommes de vous et de vos successeurs. Nos interrogations sur la nature se poursuivent, les frontières du savoir semblant reculer sous nos avancées. Mais je m’égare de ma question : votre âge ? : « J’ai 23000 à 25000 ans av. J.C. ». Puis-je vous demander si on peut vous voir, bref, un rendez-vous ? : « J’ai 2 adresses l’une de l’ordre de la représentation ou des copies, en Chalosse (Landes) où j’ai été trouvée (vers 1860). L’autre, mon visage réel ou presque, l’original sculpté, au musée de SaintGermain-en-Laye ». Promis, j’irai vous voir, «belle Dame », mon ancêtre. Je contemplerai à travers votre grâce, votre sérénité et vous me l’apprendrez.