Le Petit Journal - L'hebdo local du Lot
Hommage • Disparition de Jeanine Decremps
Au moment de la disparition de Jeanine Decremps, le romancier et journaliste JeanPierre Alaux a tenu à lui rendre hommage dans nos colonnes.
« Lettre à mon professeur de Français…
« L’idée de ne pouvoir plus lire m’est insupportable », m’aviez-vous confié il y a peu. Il est vrai que la littérature était votre plus sûre compagne. Pas un jour, surtout pas une nuit, sans vous abandonner à ce plaisir de la lecture, ce bonheur que vous avez su nous transmettre aux heures tendres de l’adolescence. J’étais en sixième au collège d’Istrie de Prayssac quand vous êtes entrée de plain-pied dans ma vie. Vous étiez à la fois ma prof de français, mais aussi d’Histoire et de latin. Haute comme trois pommes, avec ce chuintement dans la voix qui vous rendait singulière, vous incarniez tout sauf l’autorité, mais davantage l’art consommé de nous captiver à coups d’épopées empruntées aux mythologies grecque, romaine ou égyptienne. A vous écouter, les dieux de l’Olympe nous devenaient familiers et sympathiques. Vous nous transportiez, l’espace d’un cours, à Delphes ou à Rhodes comme aux plus belles heures de l’Antiquité conquérante. Thésée et Agamemnon étaient nos amis. Les pyramides d’Egypte et le phare d’Alexandrie nous fascinaient étrangement tant ils étaient soudain à portée de notre imagination. En latin, je n’étais pas le meilleur de vos élèves quand il fallait jouer des déclinaisons mais, derrière chaque mot courant, se cachait les racines latines. Grâce à vous, l’étymologie devenait un subtil jeu d’enfant. Naturellement, c’est vous qui aviez la clef de la bibliothèque du collège, vous guidiez nos choix. Très tôt, vous m’avez glissé dans les mains « Les Confessions » de Rousseau, puis « Le Père Goriot » de Balzac. Combien je vous en suis reconnaissant ! Aujourd’hui, cet amour des mots, des histoires distillées au fil des pages, c’est à vous, chère Jeanine, que je le dois. La vie à voulu que je fasse profession de cet art d’agencer les mots que ce soit à la radio, à la télévision ou dans mes romans. Je crois humblement que vous étiez un peu fière de cette once de notoriété que procure le métier qui est le mien. Il y a quatre ans, vous m’aviez demandé comme faveur de rencontrer Pierre Arditi qui incarnait à la télévision un de mes personnages de fiction. J’avais bien sûr organisé la rencontre et, ce jour-là, le roi n’était pas votre cousin. J’avais dit à Pierre : « Je te présente celle qui m’a mis un premier roman entre les mains, la meilleure conteuse d’histoires que je connaisse… » Régulièrement vous me conviez à votre table avec nos deux amies en commun, Geneviève Besse-Houdent et Francine Bousquet.Vos repas étaient dignes de Gargantua et, bien sûr, nous parlions de « La Grande Librairie » (diffusée sur France 5) et, parfois, de quelques-uns de vos anciens élèves. Vous me confiez ne pas trop priser les romans policiers, préférant mes ouvrages biographiques. Quand je sortis « Une dernière nuit avec Jimmy », un roman retraçant la vie fulgurante de James Dean, vous eûtes ces mots : « C’est le meilleur de tous », en critique avisée que vous étiez. Les auteurs ont tous dans leur panthéon une personne qui a été déterminante dans leur vocation. Assurément, pour moi, ce fut vous, Jeanine. Vous allez me manquer comme vous manquerez à tous ceux qui, un jour, ont croisé votre chemin ou ont eu le privilège de vous avoir comme enseignante. Il y a un mois, vous me demandiez encore : « Sur quoi travailles-tu ? » Je vous avais répondu : « Un nouveau roman ». « Hélas, je ne suis pas sûre que je pourrais le lire, j’ai comme du brouillard dans les yeux… Tu ne m’en voudras pas ? ». Si, aujourd’hui, Jeanine, je vous en veux un peu. Le chuintement de votre voix si douce me rassurait tant ! »