Le Petit Journal - L'hebdo local du Lot
Société. L’amour des mots et de l’agriculture
Issue d’une famille paysanne aveyronnaise, Delphine Laurent s’est largement inspirée de son expérience personnelle pour écrire son premier roman. Cette fille d’agriculteurs originaire de Sévérac-l’Église a d’ailleurs choisi de dédier Naisseur à sa grande passion pour l’élevage.
Ce roman social aborde la transmission d’une exploitation, la rudesse du métier tout autant que la passion qui habite celles et ceux qui l’exercent, mais aussi la solitude dans les campagnes. Et la beauté de faire naître.
Avec Naisseur, sous-titré Vivre enfin sa vie, Delphine Laurent publie aux éditions Albin Michel son tout premier roman, considéré comme un véritable coup de maître par les libraires et bibliothécaires qui n’hésitent pas à le promouvoir auprès de lectrices et de lecteurs séduits par cette oeuvre inspirée du réel.
C’est le cas de la médiathèque de Rodez qui a invité Delphine Laurent à venir échanger avec le public à la salle Jean Digot, jeudi 29 février à partir de 18h, dans le cadre de la sélection Premier roman, coup de maître ! Nul doute que l’autrice mettra l’accent sur son aventure éditoriale qui semble véritablement intuitive.
Comme Marie-Loup, l’héroïne de son livre, Delphine Laurent a repris la ferme familiale, où elle élève une quarantaine de vaches allaitantes Aubrac et Charolaises sur 65 hectares – des prairies naturelles essentiellement, à Laissac. En ouvrant son livre, on est subjugué dès les premières lignes : « Il manque une patte. Elle a mis la main et tout s’est bien passe?. Il est 23 h 40, et c’est la premie?re fois qu’elle n’a besoin de personne. Elle regarde le petit animal tout chaud, couche? dans la paille, qui a? peine ne? cherche de?ja? a? se tenir debout. Ses naseaux noirs palpitent comme deux minuscules coeurs, e?vacuant le mucus qui recouvrait encore il y a quelques minutes son corps inerte… »
Ce qui peut paraître pertinent dans son approche littéraire, c’est que peu de romans ont aussi bien parlé de la réalité du monde paysan d’aujourd’hui. Delphine Laurent, qui parle en connaissance de cause, en saisit l’âpreté et la sensualité dans ce récit qui raconte la renaissance d’une femme au contact d’un monde organique, instinctif et animal.
Cette forme de témoignage indirect raconte qu’à la mort de son père, MarieLoup, avocate à Paris, revient à la ferme pour en prendre la succession. Entre hostilité et affection pour ce monde familier, la jeune femme redécouvre dans la relation quotidienne avec les bêtes et le travail de la terre la vérité insoupçonnée dont chaque geste est porteur. Jour après jour, ce métier d’hommes, de naisseurs, lui révèle un lien viscéral et la possibilité d’une autre vie.
Le roman Naisseur, qui a demandé quatre années de travail à l’autrice du Laissagais, comprend des passages très écrits, sensibles et fins. Pour s’en convaincre, arrêtons-nous un instant sur la chute du roman :« Elle est retournée à l’étable. Les portails sont grands ouverts, le silence n’est troublé que par le vol d’un couple d’hirondelles et le bombinement léger des mouches qui font un festin des dernières bouses laissées sur les grilles. Elle passe d’un geste machinal la raclette, fait couler le tuyau pour ramollir les
bouses séchées, comme tout ce qu’elle a sur le coeur et qu’elle n’est pas parvenue à faire disparaître depuis son retour. Peut-être des regrets qui n’en sont pas. Quelque chose de la vie qu’elle ne parvient pas à capter, qui la remplit de langueur, lui donne envie
de pleurer et la submerge à cet instant, alors que tout est maintenant gagné. »
Delphine Laurent, Naisseur, Albin Michel, 317 pages, 20,90 €.
DE