Le Point

Les Savare : la famille « planche à billets » se déchire

Rififi. Les Savare, propriétai­res du fabricant de billets Oberthur, se divisent à propos du… Stade français.

- PAR PATRICK BONAZZA

Faire sauter la banque ! C’est ce que se sont mis en tête Emmanuelle et Marie, les filles de Jean-Pierre Savare, 77 ans, prospère industriel qui a installé le siège de son entreprise, Oberthur Fiduciaire, dans un hôtel particulie­r de l’avenue de Messine, à Paris, totalement refait à neuf. Oberthur, un coffre-fort, et pour cause. En plus de disposer d’un matelas de liquidités de 800 à 900 millions d’euros, c’est l’un des principaux fabricants privés de billets de banque en Europe avec l’allemand Giesecke et le britanniqu­e De La Rue. Dans son usine ultrasécur­isée de Rennes, où l’intrusion d’une bande de malfrats venus de Grenoble a été déjouée par la police judiciaire en juin, Oberthur produit 4,5 milliards de billets par an. Des euros, mais aussi des kwanzas angolais, des levs bulgares, des ringgits malaisiens, des pesos colombiens ou philippins… Les deux héritières de Jean-Pierre Savare, patron autocrate et pas commode (il le reconnaît luimême), contestent en justice leur éviction brutale de la société en janvier et accusent leur père de dilapider l’argent de la société en finançant à perte le Stade français.

« C’est une histoire de famille comme il y en a beaucoup quand il y a de l’argent à la clé » reconnaît, résigné, Jean-Pierre Savare. Un personnage, ce gaillard assis dans un immense bureau dont les murs sont tapissés de tableaux de Venise et de Rome. Une tronche à la Robert Dalban, un langage imagé et cru, une voix de rogomme, Savare en impose. « J’aime bien la hiérarchie quand c’est moi le chef », dit-il. Des pépins de santé l’ont conduit à espacer les verres de whisky et à ne plus trop tirer sur les gros cigares, mais l’homme a encore du coffre. Son histoire n’est pas banale, c’est celle de quelqu’un parti de rien.

Jean-Pierre Savare n’a su qu’ à 45 ans que son père, un Russe d’Odessa, avait quitté son pays en 1921. Il ne l’a jamais vu et n’a jamais cherché à le connaître. Ce père échoua à Paris, où il ouvrit, à 52 ans, un restaurant rue de la Grange-Batelière. C’est là qu’il s’amouracha de Lucienne, une serveuse de 22 ans, qu’il vira dès qu’il apprit qu’elle était enceinte. Aujourd’hui encore, Savare a des mots très durs pour condamner ce père qu’il n’a pas eu et vénérer Lucienne, sa mère disparue il y a neuf ans et au bien-être de laquelle, une fois riche, il n’a cessé de veiller.

Savare a été élevé par son beaupère, celui qui lui a donné son nom. Descendant d’une famille qui avait fait fortune dans le bois, son beaupère était simple technicien à la SNCF, qu’il a quittée à 55 ans. « Il a passé plus d’années à la retraite qu’à travailler. Un minus », dit-il. La petite famille vivait chichement rue Tocquevill­e, dans le 17e. Son beaupère n’en avait que pour ses propres filles, avec qui, d’ailleurs, JeanPierre Savare avait les meilleures relations. « Il me détestait, je le détestais. » A croire que cela forge le A la différence de la France, de l’Italie ou de l’Espagne, la plupart des banques centrales de la zone euro, et notamment celle d’Allemagne, ont renoncé à produire elles-mêmes des billets. Elles font donc des appels d’offres, ce qui permet à Oberthur de se placer sur le marché de l’euro. C’est le chiffre d’affaires d’Oberthur Fiduciaire, dont une large part (160 millions) est consacrée aux billets. caractère. A 17 ans, Jean-Pierre, qui vient de rater son bac, quitte la maison familiale, au grand désespoir de sa mère. Il va loger du côté de Clichy dans des hôtels minables qu’occupaient des ouvriers algériens. Ambiance chahutée, on était (1956-1957) en pleine guerre d’Algérie et le FLN passait récolter son tribut. « Je me barricadai­s derrière la porte. » Finalement, une de ses tantes domiciliée à Pigalle a pitié de lui et l’accueille chez elle. Le jeune Savare respire. Et, comme il n’a pas les deux pieds dans le même sabot, il a déjà trouvé un petit boulot à la Chambre syndicale des agents de change comme aide mécanograp­he. Puis il part pour le serv ic e mi li t a i r e , qu i du r e r a … vingt-neuf mois, du fait, encore, de la guerre d’Algérie. Il part, mais pas n’importe où. C’est que, au moment d’être incorporé, le gamin subit une batterie de tests et là, surprise, termine… premier. On lui laisse donc le choix de son arme, il opte pour l’armée de l’air. Evitant ( « le doigt de dieu », dit-il aujourd’hui) les embûches et les atrocités de la guerre dans les djebels. Flair. Premier, il le sera en d’autres occasions. D’abord lorsque, après l’armée, il revient à la Chambre des agents de change. On y recrute alors quinze programmeu­rs informatiq­ues. Tests, sélection : il finit… premier. Pas mal pour un autodidact­e. Après quelque temps, il se lasse de manipuler les cartes perforées d’IBM et répond à une annonce de la Cegos, une société de services informatiq­ues très cotée à l’époque. Pour le poste, ils sont quarante candidats, puis vingt, puis dix, puis cinq, puis deux, et qui, croyez-vous, l’emporta ? A 23 ans, Savare

Newspapers in French

Newspapers from France