Le vieux sage qui murmure à l’oreille de Macron
Henry Hermand fut le témoin de mariage du ministre de l’Economie. Et reste son premier soutien. Portrait.
Il sort son agenda de sa poche, puis fait défiler les pages jusqu’au 10 février, la date initiale du vote de la loi Macron à l’Assemblée. Bon, il aurait pu se passer de son pensebête. Parce que cette loi et l’homme qui la porte, Henry Hermand, 90 ans, les couve d’un regard aussi attentif que bienveillant. N’ont-ils pas longuement discuté du texte dans les appartements privés du ministre à Bercy, le 11 janvier, au soir des grandes manifestations en France et à la veille du début de l’examen de la loi par la commission spéciale de l’Assemblée ? Dès le premier contact téléphonique, il nous a fait jurer de ne rien écrire qui pourrait nuire à « Emmanuel »…
Retour un soir de 2003, à Beauvais, dans l’Oise. Un jeune stagiaire de l’Ena âgé de 26 ans participe au dîner organisé par le préfet, Michel Jau, avec quelques huiles locales. Et fait la connaissance d’un des invités : un homme presque octogénaire, né dans le département et à l’origine du gigantesque centre commercial de Creil-Saint-Maximin.
« Emmanuel m’a souvent consulté avant de prendre des décisions » , raconte Henry Hermand. Qui sera, en 2007, un des deux témoins d’Emmanuel Macron lors de son mariage avec Brigitte Trogneux, célébré à l’hôtel Westminster du Touquet. Ou qui hébergera le jeune homme pour des vacances dans sa propriété marocaine, à une époque où Jacques Attali appelait plusieurs fois par jour le jeune rapporteur de sa commission… « Un cas à part à gauche ». Il faut dire que tous deux ont en commun de détonner à gauche : Macron par sa jeunesse et son parcours, Hermand par sa réussite professionnelle exceptionnelle et son histoire qui épouse celle du socialisme. « Je suis un cas à part à gauche » , concède-t-il. Car il est riche, très riche, même, rien de moins que la 273e fortune française, selon le magazine Challenges. Grâceaux centres commerciaux que ce fils d’épicier et ancien ingénieur au CEA a fait construire depuis les années 60 un peu partout en France, mais aussi en Afrique, en Amérique du Sud ou en Chine. « La presse économique a dit que j’avais généré plusieurs dizaines de milliers d’emplois. »
Tout cela parallèlement à la grande affaire de sa vie, son engagement politique. Depuis les années 50, il n’a cessé de collaborer à des publications ou à des cercles de réflexion classés à gauche. Il a siégé au comité de rédaction de la revue Esprit en même temps que le jeune Paul Ricoeur, philosophe dont Emmanuel Macron sera le secrétaire un demi-siècle plus tard, juste avant sa mort. Dans les années 60, il fait la connaissance de Michel Rocard au PSU, point de départ d’un long compagnonnage – l’ancien Premier ministre a son bureau au même étage que celui d ’ Henr y Her mand, prèsdes Champs-Elysées. Ces dernières années, le nonagénaire a aussi permis la création du think tank socialiste Terra Nova. Ou financé la création de l’hebdomadaire Le 1, lancé par l’ancien patron du Monde Eric Fottorino. Car Hermand, qui a « toujours été progressiste » et qui, « dans le contexte actuel », se définirait « plutôt comme un social-réformiste » , juge qu’il faut aujourd’hui parachever la mutation de la gauche : « Il faut qu’elle réussisse à se débarrasser définitivement de ses vieilles lunes marxistes. Car si être de gauche c’est être du côté du plus faible, on ne peut pas s’en réclamer sans s’adapter à la réalité du monde, à l’Europe et à la mondialisation. » Combattre les idées simples, encore et toujours : d’ailleurs, le vieil homme a investi l’an dernier dans… un club de boxe parisien réservé aux beautiful people, le Temple Noble Art