Macron, le frontisme, le frondisme et le bouzouisme
L’éditorial de Franz-Olivier Giesbert
Qu’y a-t-il dans la tête des frondeurs du PS ? Pas grand-chose. Un mélange d’illusions enfantines et de slogans séniles. A l’autopsie, gageons qu’on n’y trouvera que du vide, du vent et une ignorance qui n’aura cessé de faire progrès. C’est un nouvel avatar de l’archéo-socialisme qui a déjà un pied dans la tombe. Qu’attend-on, alors, pour botter les fesses des frondeurs ? Pour faire passer la loi Macron en force, le gouvernement leur a enfin donné un premier coup là où il faut en utilisant l’article 49-3 de la Constitution. Toujours à l’ouest, le grand choeur des commentateurs a aussitôt présenté cette décision comme une catastrophe politique. Nos chers médias sont décidément des boussoles à l’envers : après nous avoir prédit que la séquence des 7-8-9 janvier sonnerait le déclin du Front national, alors que ce fut le contraire, les voilà qui exhortent le gouvernement à garder aux pieds ces boulets de plomb que sont ces faux frères de frondeurs et de Verts. De grâce, qu’il coupe les chaînes, et vite ! La tragédie française : les années passent et rien ne bouge. Ce n’est pas faire injure à Jacques Chirac et à Nicolas Sarkozy que de dire qu’ils ne furent pas de grands réformateurs. Le second fut certes plus agité que le premier, mais le résultat aura été le même : « Surtout, on ne change rien ! » Les deux anciens présidents avaient des excuses : jusqu’à présent, la France n’aimait pas qu’on dérange le conservatisme qui, la faux à la main, avec le visage de la mort, la ravageait lentement mais sûrement. Sont arrivés MM. Valls et Macron, les deux cavaliers de la réforme. Ils ne pouvaient évidemment pas cohabiter avec les frondeurs du PS, dont le programme ressemble à s’y méprendre à celui qui nous a mis dedans et que les farceurs de Syriza incarnent si bien aujourd’hui : qu’importent les dettes et les déficits, pourvu qu’on augmente les dépenses et qu’on embauche des fonctionnaires, l’intendance suivra. C’est ce qu’on pourrait appeler le « modèle grec ». Mais qu’est-il arrivé à tous ces élus de la République pour qu’ils en viennent à ânonner, si j’ose dire, de telles âneries ? Comme tous les frontismes de droite ou de gauche, le frondisme est une maladie qui rend sourd, vieux, aveugle, mais pas muet, hélas. Elle s’attrape surtout dans les appareils confinés du PS ou des Verts, où il y a toujours un congrès ou un complot à préparer. Elle interdit de voyager et même de s’informer dans la presse sur ce qui se passe à l’étranger. C’est une variante du narcissisme, du nombrilisme et de la pensée magique. Ses hérauts se retrouvent presque tous dans le dialogue d’une pièce d’Eugène Labiche : « Pauvre tocard ! Le socialisme ne lui a pas porté bonheur. – Il est mort ? – Non, il est devenu frondeur. » Pour en finir avec la nécrose intellectuelle ambiante, il y aurait encore mieux que l’article 49-3 : offrir des cours de langue et des voyages d’étude dans le monde à une grande partie de notre classe politique, trop souvent confite, y compris à droite, dans sa petite soupe à la naphtaline. En attendant, pour la préparer à ce grand saut dans l’inconnu, obligeons-la à lire le joyeux et stimulant essai de l’économiste Nicolas Bouzou : « Pourquoi la lucidité habite à l’étranger ? » (1). Issu de la même génération qu’Emmanuel Macron, Nicolas Bouzou est un esprit libre. Sans doute n’est-on pas obligé de partager son optimisme sur la Grèce ni certaines de ses réflexions sur l’Histoire ou les drogues douces. Mais, au terme d’un tour d’Europe, il nous livre une analyse implacable : notre problème n’est pas culturel ni économique, il est avant tout psychologique. La France sentant le renfermé, il nous faut, dit-il, « sortir de nous » pour devenir « nous ». Pourquoi la France n’adopte-t-elle pas chez elle les mesures qui ont réussi ailleurs ? C’est une question qu’on n’a pas fini de se poser après avoir observé, dans la foulée de Nicolas Bouzou, ce qui a été fait en matière d’éducation en Grande-Bretagne ou contre le chômage en Allemagne, Autriche ou Suisse. Le bouzouisme n’est pas un bisounoursisme. Ne pas confondre. L’auteur est un libéral féru de Marx, qui a une vision de l’économie non pas tranquille, mais « chaotique », l’instabilité étant à ses yeux le prix du progrès. Comme Schumpeter, il est convaincu que nous vivons sous l’empire de la « destruction créatrice » : l’économie ne meurt que pour revivre et la croissance fondée sur l’innovation entraîne toujours la destruction de pans entiers de l’activité. Rien ne sert de se replier sur soi. Une grande conscience, Jean Serisé, ancien collaborateur de Mendès et Giscard, nous le rappelle dans un livre à paraître, dont le titre devrait être inscrit au fronton de tous les bâtiments publics et notamment du Palais-Bourbon : « La France n’est pas seule au monde » (2). Elle n’en doutera plus quand elle se sera réveillée pour de bon ! 1. Lattès. 2. Fallois.