Le Point

Houellebec­q est-il de droite ?

- CHRISTOPHE ONO-DIT-BIOT

Vaste question. Quand on la lui pose, l’écrivain, redoutable observateu­r d’une France désindustr­ialisée, de plus en plus religieuse, et « où la multiplica­tion des restrictio­ns à la liberté devient aberrante », a une seule réponse : « J’ai fermement décidé que je ne voterai plus, à part en référendum. » Car, pour Michel Houellebec­q, la France n’est pas un pays démocratiq­ue, contrairem­ent à la Suisse, « le seul pays où les projets de loi viennent d’une initiative populaire et sont adoptés ou rejetés par référendum ». Cet appel au référendum le classerait autant à droite (de Gaulle) qu’à gauche (Duflot, Mélenchon le prônent). A l’extrême droite aussi, ajouteront ceux qui veulent à tout prix faire de Houellebec­q le cheval de Troie littéraire du FN, dont le rapprocher­ait aussi son antieuropé­isme ( « avec l’Allemagne, on n’a aucun intérêt commun », martèle-t-il) et sa prétendue « islamophob­ie »… En oubliant que l’écrivain « trouve idiot la préférence nationale », ne parle jamais d’immigratio­n, « ne croi[ t] pas à la thèse du grand remplaceme­nt » et a déjà déclaré dans ces colonnes que « la progressio­n actuelle de l’islam dans les banlieues améliore la sécurité ». Autre point qui l’éloigne des valeurs d’une certaine droite, sa détestatio­n du service militaire, que certains appellent de leurs voeux : « Si je paie pour un Etat, c’est pour faire la guerre. Je peux donner une bonne partie de mes revenus, ce que je fais, mais ma vie, sûrement pas. » Comme il n’est certaineme­nt pas au centre (voir son portrait sans pitié de François Bayrou dans « Soumission »), Michel Houellebec­q serait-il donc de gauche ? Ça ne colle pas : il déteste l’humanisme autoprocla­mé, le culte de Mai 68, la foi en la République, qui pour lui est « morte », et par-dessus tout le féminisme ( « pouvoir payer une fille est un immense progrès », clame ce défenseur de la prostituti­on). Serait-il alors d’extrême gauche ? C’était la thèse de son ami feu Bernard Maris, dont l’essai « Houellebec­q économiste » (Flammarion), s’appuyant sur sa critique féroce de la compétitio­n tant économique que sexuelle, faisait de lui un « marxiste utopique » … C’est oublier, là encore, que, s’il avoue « avoir de gros doutes sur les dogmes libéraux », Houellebec­q ne hait ni l’argent ni ceux qui en gagnent : « Admettons qu’un bon patron fasse prospérer une entreprise. Alors on peut comprendre qu’il soit très bien payé », nous déclarait-il. Un bémol, cependant, sur la finance : l’argent créé « sans rien produire, je trouve ça choquant », lance en effet ce thuriférai­re des artisans au sujet d’un trader sur lequel il a failli écrire un roman. Bref, on ne s’en sort pas… « J’ai moi-même du mal à me situer », se justifie-t-il, concédant un vague positionne­ment « conservate­ur » mais se définissan­t surtout comme « schopenhau­ero-comtien ». Allez comprendre, tant l’attelage est contradict­oire ! Ajoutons que l’écrivain défie toute récupérati­on politique d’un « let’s try ! » gouailleur et concluons qu’on est enclin à le voir davantage comme un anarchiste, ni dieu ni maître, ni droite ni gauche, dans le sillon, d’ailleurs, de ces libertaire­s que produisit cette fin du XIXe siècle qui a enfanté son cher Huysmans. Ou Laurent Tailhade, l’auteur d’« Au pays du mufle », qui, avant de perdre un oeil à la suite d’un attentat en 1894, s’était fendu de cette phrase : « Qu’importe de vagues humanités si le geste est beau ! » Un dandy, qu’il soit en frac ou en chemise camionneur, a-t-il sa carte d’électeur ?

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