Houellebecq est-il de droite ?
Vaste question. Quand on la lui pose, l’écrivain, redoutable observateur d’une France désindustrialisée, de plus en plus religieuse, et « où la multiplication des restrictions à la liberté devient aberrante », a une seule réponse : « J’ai fermement décidé que je ne voterai plus, à part en référendum. » Car, pour Michel Houellebecq, la France n’est pas un pays démocratique, contrairement à la Suisse, « le seul pays où les projets de loi viennent d’une initiative populaire et sont adoptés ou rejetés par référendum ». Cet appel au référendum le classerait autant à droite (de Gaulle) qu’à gauche (Duflot, Mélenchon le prônent). A l’extrême droite aussi, ajouteront ceux qui veulent à tout prix faire de Houellebecq le cheval de Troie littéraire du FN, dont le rapprocherait aussi son antieuropéisme ( « avec l’Allemagne, on n’a aucun intérêt commun », martèle-t-il) et sa prétendue « islamophobie »… En oubliant que l’écrivain « trouve idiot la préférence nationale », ne parle jamais d’immigration, « ne croi[ t] pas à la thèse du grand remplacement » et a déjà déclaré dans ces colonnes que « la progression actuelle de l’islam dans les banlieues améliore la sécurité ». Autre point qui l’éloigne des valeurs d’une certaine droite, sa détestation du service militaire, que certains appellent de leurs voeux : « Si je paie pour un Etat, c’est pour faire la guerre. Je peux donner une bonne partie de mes revenus, ce que je fais, mais ma vie, sûrement pas. » Comme il n’est certainement pas au centre (voir son portrait sans pitié de François Bayrou dans « Soumission »), Michel Houellebecq serait-il donc de gauche ? Ça ne colle pas : il déteste l’humanisme autoproclamé, le culte de Mai 68, la foi en la République, qui pour lui est « morte », et par-dessus tout le féminisme ( « pouvoir payer une fille est un immense progrès », clame ce défenseur de la prostitution). Serait-il alors d’extrême gauche ? C’était la thèse de son ami feu Bernard Maris, dont l’essai « Houellebecq économiste » (Flammarion), s’appuyant sur sa critique féroce de la compétition tant économique que sexuelle, faisait de lui un « marxiste utopique » … C’est oublier, là encore, que, s’il avoue « avoir de gros doutes sur les dogmes libéraux », Houellebecq ne hait ni l’argent ni ceux qui en gagnent : « Admettons qu’un bon patron fasse prospérer une entreprise. Alors on peut comprendre qu’il soit très bien payé », nous déclarait-il. Un bémol, cependant, sur la finance : l’argent créé « sans rien produire, je trouve ça choquant », lance en effet ce thuriféraire des artisans au sujet d’un trader sur lequel il a failli écrire un roman. Bref, on ne s’en sort pas… « J’ai moi-même du mal à me situer », se justifie-t-il, concédant un vague positionnement « conservateur » mais se définissant surtout comme « schopenhauero-comtien ». Allez comprendre, tant l’attelage est contradictoire ! Ajoutons que l’écrivain défie toute récupération politique d’un « let’s try ! » gouailleur et concluons qu’on est enclin à le voir davantage comme un anarchiste, ni dieu ni maître, ni droite ni gauche, dans le sillon, d’ailleurs, de ces libertaires que produisit cette fin du XIXe siècle qui a enfanté son cher Huysmans. Ou Laurent Tailhade, l’auteur d’« Au pays du mufle », qui, avant de perdre un oeil à la suite d’un attentat en 1894, s’était fendu de cette phrase : « Qu’importe de vagues humanités si le geste est beau ! » Un dandy, qu’il soit en frac ou en chemise camionneur, a-t-il sa carte d’électeur ?