Dans son livre, notre collaborateur Nicolas Hénin explique comment nos sociétés alimentent malgré elles le djihad.
Nos lecteurs connaissent bien Nicolas Hénin. En cheminant depuis dix ans à ses côtés au fil de ses reportages, ils ont pu tout comprendre des révolutions arabes, de l’Irak et de la Syrie. Dans « Jihad Academy », un livre éblouissant de lucidité, notre collaborateur raconte comment la menace terroriste a rattrapé l’Europe. D’abord, à pas de loup, par petites touches. Puis, et nous y sommes, en faisant parler les armes et la barbarie. Hénin décrit aussi comment l’Occident a multiplié les faux pas dans la région : aveuglement, cynisme, faiblesse ou inconséquence. Il nous raconte ces personnages obscurs qui organisent le chaos en Syrie et en Irak. Avec lui, on assiste à la constitution de bataillons à l’armement digne d’une armée régulière et dont les finances paraissent illimitées. Et qui n’ont qu’un seul message : la cruauté et la violence. Hénin, otage de l’EI durant près d’un an, n’a pas voulu faire le récit de sa captivité ni offrir un témoignage amer et vengeur. Il a utilisé cette expérience pour nourrir sa réflexion. Et c’est réussi été posées les bases de la médecine, de la philosophie. Ici même que, devant s’associer pour dompter la nature, les hommes ont appris à vivre en société et ont inventé les bases de l’Etat et de l’administration. Pendant mes mois de captivité dans les caves de l’EI, j’ai plusieurs fois revisité mentalement le musée berlinois de Pergame. Les yeux fermés, je me remémorais la porte d’Ishtar, les fragments de l’Epopée de Gilgamesh, les tablettes et petits rouleaux qui servaient de support aux traces d’écriture les plus anciennes que nous ayons conservées. Et cette splendide chambre d’Alep ! Je me souvenais aussi de ma visite, deux ans plus tôt, de la ziggourat d’Ur, dans le Sud irakien, ou de mon reportage dans la maison d’Abraham, maladroitement reconstruite par Saddam Hussein. J’étais constamment habité par ces souvenirs des cultures sumériennes, hittites, babyloniennes, assyriennes, mais aussi des califats abbassides et omeyyades, autrement plus éclairés que celui du sinistre Ibrahim. Quel décalage violent entre l’obscénité de ce que je vivais et la richesse de la page écrite par ces civilisations dans notre histoire commune ! Mais ce que les djihadistes ont oublié, ce que même les dirigeants de ces pays qui saccagent allègrement leur patrimoine ont oublié, gardons-le bien à l’esprit : Irak et Syrie sont le berceau de notre civilisation. Ce sont nos racines qui, avec ce conflit, sont en train de se détruire. Si ce monde s’effondre, le nôtre est menacé.