Le Point

« Hitler, macaque féroce »

Aristocrat­e et rebelle, cet Allemand avait enterré son Journal antinazi. Violentiss­ime.

- PAR THOMAS MAHLER

Le témoignage est singulier, exceptionn­el. Très rares sont les juifs qui ont survécu à une telle clandestin­ité. Il est aussi dérangeant, car, si elle s’en est sortie, c’est en rompant d’abord toute attache avec sa famille et la communauté juive, qui, à l’en croire, réagit peu ou mal. « Tu déranges, nous sommes occupés à préparer notre déportatio­n » : voilà ce que lui répond un de ses oncles lorsqu’elle vient lui rendre visite à l’été 1942, provoquant sa fureur parce qu’elle ose ne pas porter l’étoile jaune. Pendant ce temps, tout autour d’elle, on attend sagement. On se conforme aux listes d’objets qu’on a le droit d’emporter. On accepte une mort probable. Sans aller jusqu’à l’accusation, un tel récit met en scène la « passivité » des juifs.

A l’été 1942, Marie s’est déjà bien démenée. Elle a tenté un mariage avec un Chinois, car, dans ce Berlin de la guerre, les hommes de la communauté chinoise monnaient leurs noces. Elle passe à la casserole avec Shu Ka Ling, mais l’administra­tion veille. Qu’importe ! Elle tombe amoureuse d’un Bulgare venu repeindre les murs d’une de ses planques. Une seule pensée l’obsède : partir se marier avec lui à Sofia. Après avoir appris le bulgare, elle traverse toute l’Europe, mais son fiancé la laisse en plan et, au lieu de tenter de fuir par la Turquie, la voilà qui revient à Berlin ! Entre-temps, elle a récupéré la carte d’identité d’une Aryenne, Johanna Koch, qui avait connu ses parents. Telle est aussi l’étrangeté de ce destin sur lequel veilleront jusqu’en 1945 deux anges gardiens, cette Mme Koch et une fervente communiste, Trude Neuke : « A partir de maintenant, et jusqu’à la victoire de l’Armée rouge, je prends la responsabi­lité de ta vie et de ton sauvetage contre nos ennemis communs. » A cet égard, « Clandestin­e » vient illustrer, avec cette force prosaïque et incontesta­ble du témoignage, les travaux des grands historiens Ian Kershaw et Peter Longerich sur l’adhésion au nazisme et l’attitude du peuple allemand. On s’aperçoit qu’il existait dans le peuple, surtout à Berlin, ville de tradition socialiste, des solidarité­s étonnantes. On sait qu’elle est juive, ou demi-juive (selon ses versions), mais on ne la dénonce pas, même si, parfois, on profite de sa vulnérabil­ité pour l’exploiter, l’affamer et la maltraiter. Elle s’adapte, errant ici ou là, chez une lesbienne, un syphilitiq­ue amateur de poissons rouges ou une ex-artiste de cirque mentalemen­t dérangée. La vie avant tout. Elle trouvera un vrai point de chute en étant « vendue » à un Hollandais, travailleu­r de force étranger, avec qui elle va cohabiter deux ans chez une logeuse antisémite. Elle s’arrange. Rencontre parfois dans la rue d’autres juifs clandestin­s à qui elle fait un signe de tête. Apprend que certains se sont fait pincer. Elle ne pleure jamais, sinon en mordant dans un gâteau qui rappelle le temps d’avant la guerre. Elle ne pleure pas du tout lorsqu’elle se fait violer par un Russe à la Libération. La vie avant toute chose, quel qu’en soit le prix. Pour cela, il faut bien sûr une résistance hors du commun. Dès 1941, une de ses copines juives de Siemens, où elles étaient travailleu­ses forcées, avait déjà tout compris : « Tu seras la seule de nous toutes à survivre. » « Clandestin­e », de Marie Jalowicz Simon. Traduit de l’allemand par Bernard Lortholary (Flammarion, 420 p., 23 €). Parution le 4 mars.

De Munich, berceau du nazisme, ont été lancés deux des plus admirables cris contre la peste brune. Le premier, celui de Hans et Sophie Scholl, martyrs du mouvement de résistance La Rose blanche, ayant appelé à saboter la « dictature du mal » , est bien connu. Mais le second, le journal de Friedrich Reck-Malleczewe­n, est étrangemen­t tombé dans l’oubli, alors même que Hannah Arendt le tenait pour l’un des

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