Le Point

Pourquoi les mathématic­iens et les physiciens fascinent autant les cinéastes et les romanciers.

- PAR THOMAS MAHLER

Et si, en dépit d’une apparente austérité, c’étaient eux, nos plus belles idoles ? Alors même que le commun des mortels n’est plus capable de comprendre leurs « oeuvres », les vies des mathématic­iens et physiciens n’ont jamais autant fasciné la littératur­e ou les caméras. Après s’être emparé de John Nash (« Un homme d’exception »), le cinéma vient de consacrer deux biopics à Alan Turing (« Imitation Game ») et Stephen Hawking (« Une merveilleu­se histoire du temps »), qui étaient tous deux en lice pour l’oscar du meilleur film. Le péplum « Agora », récompensé par sept goyas en Espagne, réhabilite la mathématic­ienne antique Hypatie d’Alexandrie, assassinée par les chrétiens. Au rayon livres, Yannick Grannec a dédié un superbe roman à Kurt Gödel (« La déesse des petites victoires »), Daniel Kehlmann évoque Carl Friedrich Gauss, le « prince des mathématic­iens » , dans son best-seller « Les arpenteurs du monde », et Laurent Seksik a fouillé les drames familiaux d’Albert Einstein (« Le cas Eduard Einstein »). Comment expliquer, alors que la science n’est plus qu’abstractio­n, ce besoin de saisir par la fiction la chair de ces génies ? « A une époque très désabusée, la science est vue comme un bastion d’aventure et de progrès, assure Cédric Villani, médaillé Fields, directeur de l’Institut Henri-Poincaré et dandy notoire. Il ne fait aucun doute que la science progresse… alors que la politique ou l’économie, c’est beaucoup moins clair ! Le monde a été plus transformé par les scientifiq­ues, ces derniers siècles, que par aucune autre catégorie de personnes. »

Des conquérant­s, des fulgurance­s géniales, des audaces et des « vies de dingue » (dixit Villani)… Que demander de plus ? Ajoutez à cela que la science est un excellent poste d’observatio­n pour saisir les enjeux moraux et philosophi­ques de son époque. Dans « Le principe », Jérôme Ferrari, prix Goncourt 2012, s’empare du prix Nobel Werner Heisenberg (1901-1976), fondateur de la mécanique quantique, aujourd’hui « perdu dans la grisaille d’une interminab­le bibliograp­hie parmi tant d’autres noms d’Allemands » . Pas de biopic ici, mais une méditation servie par des phrases amples et envoûtante­s. S’adressant directemen­t à son sujet ( « Vous aviez 23 ans et c’est là, sur cet îlot désolé où ne pousse aucune fleur, qu’il vous fut donné pour la première fois de regarder par-dessus l’épaule de Dieu » ), le romancier tente de résoudre l’équation d’un électron aussi insaisissa­ble que ces particules élémentair­es dont, comme il a été le premier à l’expliquer, on ne pourra jamais connaître en même temps la position et la vitesse. Le père du « principe d’incertitud­e » était lui-même

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