Pourquoi les mathématiciens et les physiciens fascinent autant les cinéastes et les romanciers.
Et si, en dépit d’une apparente austérité, c’étaient eux, nos plus belles idoles ? Alors même que le commun des mortels n’est plus capable de comprendre leurs « oeuvres », les vies des mathématiciens et physiciens n’ont jamais autant fasciné la littérature ou les caméras. Après s’être emparé de John Nash (« Un homme d’exception »), le cinéma vient de consacrer deux biopics à Alan Turing (« Imitation Game ») et Stephen Hawking (« Une merveilleuse histoire du temps »), qui étaient tous deux en lice pour l’oscar du meilleur film. Le péplum « Agora », récompensé par sept goyas en Espagne, réhabilite la mathématicienne antique Hypatie d’Alexandrie, assassinée par les chrétiens. Au rayon livres, Yannick Grannec a dédié un superbe roman à Kurt Gödel (« La déesse des petites victoires »), Daniel Kehlmann évoque Carl Friedrich Gauss, le « prince des mathématiciens » , dans son best-seller « Les arpenteurs du monde », et Laurent Seksik a fouillé les drames familiaux d’Albert Einstein (« Le cas Eduard Einstein »). Comment expliquer, alors que la science n’est plus qu’abstraction, ce besoin de saisir par la fiction la chair de ces génies ? « A une époque très désabusée, la science est vue comme un bastion d’aventure et de progrès, assure Cédric Villani, médaillé Fields, directeur de l’Institut Henri-Poincaré et dandy notoire. Il ne fait aucun doute que la science progresse… alors que la politique ou l’économie, c’est beaucoup moins clair ! Le monde a été plus transformé par les scientifiques, ces derniers siècles, que par aucune autre catégorie de personnes. »
Des conquérants, des fulgurances géniales, des audaces et des « vies de dingue » (dixit Villani)… Que demander de plus ? Ajoutez à cela que la science est un excellent poste d’observation pour saisir les enjeux moraux et philosophiques de son époque. Dans « Le principe », Jérôme Ferrari, prix Goncourt 2012, s’empare du prix Nobel Werner Heisenberg (1901-1976), fondateur de la mécanique quantique, aujourd’hui « perdu dans la grisaille d’une interminable bibliographie parmi tant d’autres noms d’Allemands » . Pas de biopic ici, mais une méditation servie par des phrases amples et envoûtantes. S’adressant directement à son sujet ( « Vous aviez 23 ans et c’est là, sur cet îlot désolé où ne pousse aucune fleur, qu’il vous fut donné pour la première fois de regarder par-dessus l’épaule de Dieu » ), le romancier tente de résoudre l’équation d’un électron aussi insaisissable que ces particules élémentaires dont, comme il a été le premier à l’expliquer, on ne pourra jamais connaître en même temps la position et la vitesse. Le père du « principe d’incertitude » était lui-même