Devient-on moderne lorsqu’on va mourir ?
Le Rijksmuseum accueille les dernières oeuvres de Rembrandt. Entre drames personnels et faillite se produit alors en lui une déflagration étoilée…
Après Londres, où un journal britannique décerna à cette rétrospective le titre de « plus importante exposition sur terre » , voici qu’Amsterdam accueille les oeuvres tardives de Rembrandt (1606-1669), dans la ville où elles furent peintes. L’artiste ne put jamais les voir réunies : le temps semble aujourd’hui nous donner un regard d’avance sur lui. Mais est-ce bien sûr ? Et qui surplombe qui ? Entre 1652 et 1669, envers et contre tout, un crépuscule flamboya au bord d’un canal. La vie alors n’épargnait pas le grand peintre. Déclaré en faillite au cours de l’année 1656, il perd sa compagne en 1663, puis son fils Titus en 1668. L’empereur de la palette batave va-t-il abdiquer ? Tout au contraire, la force de création s’insurge en lui. A travers 40 peintures, 30 gravures et 20 dessins, le Rijksmuseum restitue cette déflagration étoilée.
Sous l’oeil des jeunes visiteurs de 2015 en pantalon slim et bonnet siglé, le vieux Rembrandt nous donne une leçon de vie : quand elle est en diminution, il faut l’accroître. Dans sa maison du 184 Rozengracht, l’artiste reçut jusqu’à la fin de nombreuses commandes. Portraits, scènes pieuses, tableaux d’Histoire, ensembles mythologiques, tout lui était peinture. L’homme donne alors des autoportraits où il souligne l’apparente rusticité d’un artisan au bonnet rond. Comme lui, certains de ses modèles semblent vivre hors du temps. Peint en 1661, l’apôtre Barthélemy a l’air d’un colonel britannique croqué pour la National Gallery. En cannibalisant Titien, annonce-t-on Lucian Freud ? Eclairs de nuit. Mais si la commande est un prétexte, le tableau est un aveu. A considérer l’« Autoportrait aux deux cercles » (1665), on constate que la palette, lieu des couleurs, n’est qu’une tache. Le futur se tiendrait-il dans la tache ? Visages creusés d’ombres, à-plats au couteau, gravures hachées à la pointe sèche, incisions dans la couleur encore humide, cette ultime époque, alors décriée par certains comme un « barbouillage », voit la pâte primitive zébrée par des éclairs de nuit. Apothéose des prophètes, avènement d’une bible dont Rembrandt est l’unique scripteur…
Serait-on moderne parce qu’on va mourir ? Les deuils séparent le vieux Rembrandt de la tradition, le rendent plus émotionnel, plus sensuel, plus expérimental. Qu’il peigne une fiancée juive ou le suicide de Lucrèce, ce ne sont que jaunes dorés et traînées en estompe, et des paysages traités en bosquets vibrés, sous-bois, échardes charbonneuses, qui pourraient annoncer Turner. Cet homme avait avec l’ombre des rapports de dompteur. Elle est partout, dans la révolte contre les Romains,