John Stuart Mill
C’est au XIXe siècle en Grande-Bretagne que la liberté d’expression sans réserve trouve son défenseur : John Stuart Mill (1806-1873). Rien ne doit selon lui entraver l’expression des opinions : ni la religion, ni la morale, ni l’Etat. « La seule raison légitime que puisse avoir une communauté pour user de force contre un de ses membres est de l’empêcher de nuire aux autres » , écrit-il. Ainsi, dire publiquement que « la propriété est un vol » est un droit inaliénable, mais attaquer les propriétaires est interdit. Clair ?
« On vient de voir les raisons qui rendent absolument nécessaire aux hommes la liberté de se former des opinions et d’exprimer leurs opinions sans réserve. (…) Recherchons maintenant si les mêmes raisons n’exigent pas que les hommes soient libres de se conduire dans la vie d’après leurs opinions, sans en être empêchés par leurs semblables, aussi longtemps que chacun ne le fait qu’à ses risques et périls. Naturellement, cette dernière condition est indispensable. Personne ne soutient que les actions doivent être aussi libres que les opinions. Au contraire, les opinions elles-mêmes perdent leur immunité quand on les exprime dans des circonstances telles que leur expression est une instigation positive à quelque acte nuisible. (…) L’espèce humaine n’est pas infaillible ; ses vérités ne sont, pour la plupart, que des demi-vérités : l’unité d’opinion n’est pas désirable, à moins qu’elle ne résulte de la comparaison la plus libre et la plus entière des opinions contraires ; la diversité d’opinions n’est pas un mal mais un bien, tant que l’humanité ne sera pas beaucoup plus capable qu’elle ne l’est aujourd’hui de reconnaître toutes les diverses faces de la vérité. Voilà autant de principes tout aussi applicables à la manière d’agir des hommes qu’à leurs opinions. » « De la liberté », traduction de Charles Dupont-White (légèrement modifiée), 1860. Pour l’humoriste, pouvoir se moquer de tout sans tabous est essentiel à la démocratie.
Le Point : « Charlie Hebdo » a toujours revendiqué son entière « irresponsabilité ». La partagez-vous ? Nicolas Bedos :
Oui. Toute forme de restriction de l’expression artistique est plus dangereuse que n’importe quelle expression artistique. La plupart des êtres humains portent en eux plein de saletés : le racisme, l’homophobie, la misogynie, la violence, la pédophilie même, ou l’inceste. L’humour, le cinéma et la littérature sont là pour leur permettre de digérer et de gouverner ces penchants inconscients. L’art a une fonction cathartique. (…)
Pensez-vous avoir un rôle politique ?
A mon petit niveau, oui, forcément. Je pense qu’un pays où l’on peut se moquer des politiques, des patrons, des religions, des races et des orientations sexuelles est un pays mieux armé qu’un autre contre l’extrême droite. Le grand argument du fascisme se résume à « tout le monde tait la vérité, mais nous, nous la disons, au risque de choquer ». Eh bien, non. Il faut s’emparer des tabous, combattre l’hypocrisie, assumer ses contradictions. (…) Il n’y a rien de pire que le silence, il précède toujours le vacarme Ces textes sont à retrouver dans leur intégralité dans « 2 500 ans de liberté d’expression ».