Le Point

Les musulmans doivent reconnaîtr­e la spécificit­é des autres religions. C’est à ce prix que le dialogue avec eux se poursuivra.

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Juifs, chrétiens et musulmans se revendique­nt d’Abraham, le premier à croire dans le Dieu unique, qui lui promit, en récompense de sa foi, que sa descendanc­e rassembler­ait l’humanité. C’est pourtant en Chaldée, sa terre natale, que ses enfants supposés en massacrent d’autres aujourd’hui, agitant le spectre d’une guerre planétaire des monothéism­es. C’est au « peuple de l’Etoile et de la Croix », assimilé à l’Occident, que l’Etat islamique adresse les vidéos de ses égorgement­s. C’est ce même Occident, sécularisé, qui, après avoir rêvé un islam pacifique, modèle de globalisat­ion métissée, réprouve désormais le monde musulman, obstacle à la mondialisa­tion de la modernité.

A l’instar du 11 septembre 2001, le 7 janvier 2015 a suscité une génération spontanée d’islamologu­es improvisés. Le mythe doré de la mixité et de la tolérance qui auraient prévalu à Cordoue, Istanbul ou Sarajevo a laissé la place à la légende noire de la violence qui serait inhérente au Coran ou de l’amalgame entre le spirituel et le temporel qui fonderait l’oumma. Rien de vrai ni de faux dans cette double reconstruc­tion inversée : relativise­r la réalité ou essentiali­ser l’autre sert indifférem­ment l’idéologie du moment. Marx et le communisme connurent un pareil retourneme­nt quand il devint impossible de nier le goulag. Or, quel que soit le degré de porosité que l’on peut induire entre l’islam et l’islamisme, on ne saurait déduire l’un de l’autre : l’évidence veut que les bas-reliefs de Mossoul ont pu être détruits par Daech parce qu’ils avaient traversé treize siècles sous le Croissant. Dans la lutte contre les utopies sanglantes issues des Lumières, la complexité du fait de civilisati­on s’est ainsi substituée au manichéism­e antitotali­taire. Misère de l’intelligen­ce française : l’ère du politico-religieux réclame de penser le fonds théologiqu­e du politique, et cultuel des cultures, que récuse volontiers l’éducation républicai­ne. Ce à quoi s’emploient précisémen­t les chrétiens dans le dialogue au long cours qu’ils entretienn­ent avec les musulmans.

Ce dialogue est originel. Il est au coeur de la religion coranique, née dans les déserts d’Arabie, qui, alternativ­ement, convoque les juifs et les chrétiens comme témoins de la Révélation faite à Mahomet et les accuse d’en être les corrupteur­s. Il étaie la religion islamique, apparue avec la conquête du Levant par les cavaliers du Prophète, dans laquelle un père de l’Eglise comme Jean de Damas (+ 749) voit d’abord une « hérésie chrétienne à tendance judaïsante » . Il anime l’essor intellectu­el du monde arabo-musulman que rendent possible les chrétiens d’Orient, à commencer par les philosophe­s syriaques de Bagdad. Il engendre la Nahda, la renaissanc­e de l’arabité et l’affirmatio­n du panarabism­e que ces mêmes chrétienté­s promeuvent au XIXe siècle afin d’échapper à la dhimmitude, l’apartheid confession­nel auquel les a condamnés un millénaire de domination musulmane. C’est cette coexistenc­e initiale qui est éradiquée sous nos yeux.

Le dialogue institutio­nnel, inauguré au XXe siècle, continue de son côté. Il bute cependant contre une dissymétri­e fondamenta­le, à la fois dans la volonté et dans les moyens. A moins de porter sur l’essentiel, l’interrelig­ieux se condamne à une caricature d’irénisme onusien. Or, dernier arrivé historique­ment, l’islam se pense le premier apparu ontologiqu­ement. Il estime détenir la vérité sur Moïse et Jésus bien que leurs représenta­tions dans le Coran divergent de celles de la Bible. Il pose une unité des « religions du Livre » qui ne vaut, textuellem­ent, que de la Torah à l’Evangile. Il suppose une stricte équivalenc­e entre le djihad et la croisade que contredit l’historiogr­aphie. Par-delà

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