Paul Morand, lettres et le néant
L’auteur de « L’homme pressé » entre Chardonne et Nimier, entre ses passions tristes et son besoin de jeunesse. Infernal.
L’idée lui était venue, dit-on, tandis qu’il conduisait sa Mercedes entre Vevey et les Hayes, et c’était une fameuse idée : échanger de belles lettres avec Jacques Chardonne ; y parler librement, haineusement, littérairement de tout ; s’y sculpter un buste flatteur ; régler quelques comptes au passage ; et confier le tout à Gallimard – qui s’engageait à veiller sur ce trésor jusqu’à l’an 2000. Après ? Morand, l’exquis Paul Morand de « Parfaite de Saligny », le Morand grimaçant de « France la doulce » se moquait bien de l’après… Depuis la fin de la guerre, il pense qu’il a déjà tiré ses meilleures cartouches. De plus, il est au creux de la vague et ne doute pas qu’on lui fait injustement payer quelques égarements vichystes. Seul compte alors, pour lui, le petit morceau de temps qu’il lui reste. Et, en as du volant, il sait que, pour gagner la course, il ne faut pas rater le dernier virage…
Or, dans le même temps, surgit un jeune Alcibiade, Roger Nimier, qui a tout pour plaire aux deux grands épistoliers narcissiques : l’insolence, le style, la moue mutine, le goût du panache, de l’esbroufe… Les deux complices vont choyer leur nouvel ami, le couver avec la tendresse de Vautrin pour Rubempré – eux, ils préfèrent dire la tendresse de Flaubert pour Maupassant – afin qu’il leur prête un peu de son énergie, de son entregent, de ses relations. Une autre correspondance, deux par deux, s’engage aussitôt, moins amidonnée, plus nerveuse. Au final, cela donna un trio très réussi – et un prodigieux document (1) sur la vie des lettres entre l’après-guerre et le putsch d’Alger. Dans cette affaire, Morand a manifestement le premier rôle. Chardonne est excellent en sparring partner pontifiant. Nimier joue les chiens fous. Il adore monter la garde devant ses deux aînés crépusculaires…
Commençons donc par Chardonne, le solitaire, le terrien, l’écrivain préféré de François Mitterrand, qui écrit si bien des histoires si ennuyeuses et dont les métaphores sont toujours taillées dans des pièces de tweed. Morand n’aime pas vraiment Chardonne (il n’ira pas à son enterrement), mais il est sensible à l’admiration que lui témoigne ce notable de