Le Point

Allons enfants de la tyrannie…

Le premier roman d’une Iranienne flamboyant­e.

- MARINE DE TILLY

a commence dans une camionnett­e qui bringuebal­e dans les rues défoncées de Téhéran. Azar a les yeux bandés, les poignets menottés, elle cogne sur la tôle. Chaque nid-de-poule fait exploser en elle des contractio­ns violentes, ça sent la chaleur et la souffrance nue, ça dure des siècles. Et puis le mal change de braquet, s’attaque à sa colonne vertébrale, à ses reins, à son ventre rond et tendu. Accrochée à son tchador, son pantalon mouillé collé à ses cuisses, elle est emmenée par ses geôliers en salle d’interrogat­oire. C’est le bon moment, « son corps n’est plus qu’un lieu où tout se tord et où seule règne la douleur, pure et infinie », écrit Sahar Delijani, et Azar devrait parler, balancer sur les dissidents, son mari, les ennemis du régime… Après des heures de harcèlemen­t, épuisée de douleur et de terreur, elle accouche enfin d’une petite fille, Neda. On la lui enlèvera quarante-cinq jours plus tard, et elle, avec ses seins lourds de lait, avec sa désespéran­ce, restera un an de plus dans le noir. « On est si petit, dit-elle, et insignifia­nt, quand on n’a pas de ciel à contempler. » Neda, c’est l’auteur, Sahar Delijani. Comme Omid, 3 ans, qui assiste à l’arrestatio­n brutale de ses parents ; ou comme Sheida, qui apprend vingt ans après les purges que son père a été exécuté, c’est une enfant du jacaranda, ces enfants d’opposants nés en prison, en pleine guerre Iran-Irak (1980-1988), et arrachés à leurs parents. Une génération qui, trente ans plus tard, n’est pas résolue à se taire. Le livre de Sahar Delijani, né d’une nuit où sa mère lui a dit : « Je vais tout te raconter » et nourri des lettres de son père, retrace admirablem­ent ces vies qui dans l’apocalypse tentèrent de se frayer un chemin, sans toujours se briser. Traduit dans 70 pays, c’est un roman de combat où souffle le vent de la rébellion et de l’envie de vivre. Comme celle qui flamboie dans les feuilles mauves du jacaranda, cet arbre à l’ombre duquel ils ont passé leur enfance, sans leurs parents, mais le coeur battant « Les enfants du jacaranda », de Sahar Delijani (Le Livre de poche, 356 p., 7,10 €).

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Témoignage. Sahar Delijani, une « enfant du jacaranda ».

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