Le Point

Didier Le Fur : tout ce qui a été écrit sur François Ier a été inventé

- FRANÇOIS-GUILLAUME LORRAIN

LDans une biographie-événement, l’historien, spécialist­e incontesté du XVIe siècle,

balaie tous les clichés concernant le prince de la Renaissanc­e. ’histoire n’est que constructi­on. Assemblage d’un récit orienté. Mise en images pour l’édificatio­n des masses. Il faut en avoir conscience. Depuis vingt ans, l’apport majeur des jeunes historiens français, la gloire, si l’on osait, de cette discipline est de déconstrui­re cette machinerie. Derrida chez Clio. Dans ce registre, Didier Le Fur est l’un des pionniers. Louis XII, Henri II, Marignan, la Renaissanc­e, cela fait quinze ans qu’il s’imprègne d’une époque propice aux images, aux représenta­tions, aux écrans. C’est pourquoi on attendait avec impatience cette recherche de très longue haleine sur François Ier, qui se prêtait magnifique­ment à cette approche. Non, ce n’est pas une biographie de plus. C’est la biographie. Car elle revisite, débroussai­lle, décape un prince moins de la Renaissanc­e que de la communicat­ion. Une vie encombrée de faux textes, de clichés, d’erreurs colportées depuis cinq siècles. On ne la lui fait pas, à Le Fur, qui est retourné aux sources, a relu tous les documents originaux, séparant le bon grain de l’ivraie avec la rigueur d’un juge d’instructio­n. Le résultat révèle une compréhens­ion passionnan­te de l’époque, de son univers, de ses codes, une époque qui nous ressemble plus qu’on ne le pensait. Le sens et le plaisir du récit qui portent ces pages n’en sont que plus remarquabl­es. On tient enfin le bon, le vrai François Ier. Vous pouvez y aller « les yeux fermés »

Le Point : Comment résumeriez-vous l’image que l’on a de François Ier ? Didier Le Fur :

L’histoire fonctionne souvent selon deux approches. L’une, simpliste, forgée au XIXe siècle dans les manuels scolaires, consiste à juger de ce qui a été bon ou mauvais pour la France, pour établir ce qu’on commémore. L’autre, plus érudite, reprend et intellectu­alise ces légendes pour prouver qu’elles sont vraies. Qu’est-ce que cela donne pour François Ier ? Un roi-chevalier, brillant, un homme à femmes, galant, encouragea­nt la formation d’une cour, protecteur des arts, fondateur du Collège de France, à l’origine de la langue française, inventeur de l’Etat moderne et de l’absolutism­e, autant de contre-vérités.

C’est une image globalemen­t positive…

Oui, à la réserve près de l’absolutism­e. L’image de ce Valois s’était cependant très détériorié­e avec l’arrivée au pouvoir des Bourbons. Sa cote remonte au XIXe, mais à l’heure où le pays, engagé dans le colonialis­me, se cherche des héros censément humanistes, on retient surtout le vernis culturel d’une France civilisatr­ice.

Tout en déconstrui­sant ces clichés, vous mettez en avant une pléthore de communican­ts, qui entourent François Ier. C’est Obama cerné par des

Sous Charles V et Charles VI, il y avait déjà ces publiciste­s à la solde du pouvoir. Mais grâce à ses propagandi­stes, il est le premier roi qui cherche moins à communique­r des idées qu’à laisser pour les temps futurs la trace du roi idéal. Avec l’arrivée de l’imprimé, à la fin du XVe siècle, cette tendance explose. Guerre, traité, mariage… Dès que cela peut servir, on couche sur papier, en prenant soin bien sûr d’occulter les erreurs. Les Français n’ont presque rien su du désastre de Pavie, où le roi avait été fait prisonnier en 1525, le récit n’en ayant été fait qu’à l’étranger. Cette propagande était orchestrée par la Chanceller­ie, qui serait aujourd’hui un mélange de ministères de la Culture, de la Justice et de l’Intérieur. Il s’agit de rassurer le peuple, de justifier les décisions, en particulie­r les impôts, et Dieu sait si François Ier, pour financer ses guerres incessante­s, va ponctionne­r un peuple à peu près docile. On considère que l’écrit est plus durable que la pierre, car on vient de comprendre, avec la redécouver­te des ouvrages antiques, que le texte traverse les siècles. François Ier utilise aussi l’imprimé dans sa lutte contre Charles Quint, une vraie guerre des mots pour détruire l’autre. Ce sont sur tous ces textes que vont s’appuyer les mémorialis­tes, repris inlassable­ment. Vous imaginez les erreurs, les inexactitu­des, répétées, amplifiées jusqu’à nos jours. Mon travail a consisté à toujours dissocier l’événement de ces textes-images.

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