Haine de l’excellence, haine de soi
A l’image de la novlangue de ses initiateurs, la réforme du collège est un ratage total.
«La
forme, c’est le fond qui remonte à la surface » , écrivait Victor Hugo. Le langage dans lequel s’annoncent la nouvelle réforme du collège et la refonte des programmes qui l’accompagne ont alors de quoi inquiéter.
Une novlangue que l’on croyait réservée à des errements passés réapparaît et ferait sourire si le sujet n’avait une telle importance. Apprendre à nager devient « se déplacer (…) dans un milieu aquatique profond standardisé » , et, les jeux de ballon, « conduire et maîtriser un affrontement collectif » . En français, à l’école primaire, la lecture des contes n’est évoquée que de la façon suivante : « Mise au jour de quelques stéréotypes (loup, ogre, cochon, forêt…) » Au cycle 4 (5e, 4e, 3e), on cherche en vain une référence aux grands textes, au patrimoine littéraire. En histoire, on substitue au programme actuel de l’école primaire, qui avait permis le rétablissement d’une chronologie simple, quelques coups de projecteur tels que « 1892, la République fête ses cent ans » . On veut un enfant qui « mette en perspective » avant même de lui avoir donné les repères de base. Tout est à l’avenant.
La réforme du collège aurait pu susciter un certain espoir par l’un de ses aspects : l’octroi d’une autonomie de l’établissement pour 20 % des horaires afin de mener des projets interdisciplinaires. Cet appel à la responsabilité et à l’intelligence des acteurs allait dans le bon sens. Mais il s’est accompagné assez vite de menaces sur une série de sujets, révélatrices d’une philosophie générale.
D’abord par la suppression de tout ce qui différencie. Ainsi, des humanités, avec le latin et le grec ramenés au rang de « parcours consacré aux langues et cultures de l’Antiquité » . Ainsi des 6es bilangues (aujourd’hui, 3 623 établissements concernés pour 88 362 élèves en 6e), dispositif créé en 2004 qui a, entre autres vertus, permis de stabiliser l’apprentissage de l’allemand (15% des élèves) et qui est regardé avec attention par ceux de nos voisins qui ont cultivé l’apprentissage du français avec plus de dynamisme. N’ayant pas de véritable argument pédagogique pour supprimer ces dispositifs qui ont fait leurs preuves, on en vient à un argument social : ils doivent disparaître, sous prétexte qu’ils permettent à des familles de contourner la carte scolaire. On voit se dessiner dans la phraséologie de certains acteurs un nouvel adversaire : la famille qui veut choisir le parcours de son enfant, sorte d’équivalent dans le domaine scolaire de l’évadé fiscal dans le domaine économique. Ces raisonnements absurdes font le lit d’un déclin du secteur public qui pourtant réussit très bien lorsqu’on laisse les acteurs libres de construire leur propre projet éducatif, de créer des dispositifs spécifiques, de chercher à être appréciés des parents… Car la différ e nc i a t i o n p e ut f o nc t i o nner d’abord et avant tout au bénéfice des milieux les plus défavorisés. Ce sont ces classes musicales qui ont redonné de l’attractivité à des collèges de ZEP, ce sont les tragédies grecques enseignées et jouées en Seine-Saint-Denis grâce à des professeurs convaincus que la culture est le socle de la République. Paradoxalement, la lutte contre un bourgeois imaginaire se retourne contre des démunis bien réels. L’égalitarisme nuit à l’égalité.
La renonciation à transmettre se présente alors sans fard.
La renonciation à transmettre se présente sans fard, avec des mesures qui élaguent, nivellent, suppriment ce qui marche au nom d’un égalitarisme absurde.