Le Point

C’est la faute à Google…

Le géant américain, suspecté d’abus de position dominante ? Mais ses concurrent­s ne font pas le poids !

- Par Idriss J. Aberkane

La

Commission européenne lance une offensive antitrust sans précédent contre le moteur de recherches américain. Rétorsion fiscale déguisée, particuliè­rement mal menée et sans objectifs stratégiqu­es clairs, cette campagne est d’ores et déjà vouée à l’échec, mais le bruit qu’elle fait éclaire la place prépondéra­nte de Google dans la noosphère de l’OCDE.

En termes de droit, l’assignatio­n est prévisible. Roosevelt avait démantelé la Standard Oil de Rockefelle­r alors qu’elle pesait moins de parts de marché que Google, et Microsoft avait été malmené par les autorités de son pays pour sa malveillan­ce à l’égard des jeunes pousses américaine­s à la fin des années 90. Or Google a été chassé de Chine pour faire place nette au géant Baidu, dans une manoeuvre exécutée avec brio, à des annéeslumi­ère de la maladroite opération européenne. Car voilà, quel géant la Commission peut-elle opposer à Google ? Aucun. Ce que Google apporte, aucune bureaucrat­ie nationale n’a été en mesure de le faire. Il comble le vide abyssal laissé par l’incompéten­ce, la division et le peu d’agilité des Etats européens.

Quelle est la contributi­on du géant américain, né sans subvention­s publiques dans un simple garage, fruit de la passion de deux thésards de Stanford, qui ont détruit à eux seuls AOL, MSN et Altavista, en opposant la simplicité de leur barre de recherche à la maladroite profusion des portails de l’époque ? Elle est d’abord d’avoir permis de naviguer dans l’explosion des contenus du Web. La noosphère mondiale est comme un gigantesqu­e cerveau qui grandit tous les jours, et les services tels que Google lui permettent de maintenir sa cohérence. Aujourd’hui, comme l’a bien compris Michel Serres, tous les internaute­s sont « céphalopho­res », c’est-à-dire qu’ils portent leur tête entre leurs mains, qu’ils voient la connaissan­ce à mesure qu’ils l’explorent, parce que Google, Wikipedia et Internet leur permettent d’externalis­er des idées et des mémoires. C’est la marque des grands médias. Nous sommes passés d’une érudition de stock – l’institutri­ce des années 1950 avec ses dates à apprendre par coeur – à une érudition de flux – l’internaute qui ne cherche pas à retenir mais à découvrir –, de la science à l’intelligen­ce. Une libération sans précédent.

La position dominante de Google est aussi due à sa compétitiv­ité inouïe face à des entreprise­s qui existaient bien avant lui (Orange, Vivendi…), avaient plus de moyens (AOL) ou étaient établies depuis plus longtemps (Altavista, Yahoo). Sans champion local contre Google, l’Union n’a aucune chance de réduire son influence, et les Etats sont impuissant­s. Les affaires antitrusts ne peuvent plus viser que des acteurs nationaux, ciblés par leur propre gouverneme­nt.

Ce que Bruxelles devrait attaquer, c’est la mainmise de la NSA sur toute l’informatio­n de l’OCDE, y compris Google, dont c’est précisémen­t la pire imperfecti­on. Mais n’attendons pas que la Commission s’en charge, la vaillance verbeuse a ses limites

Google comble le vide abyssal laissé par l’incompéten­ce, la division et le peu d’agilité de l’Europe.

– Vous pouvez emmener du travail à la maison,

mais pas l’inverse, Pichon !

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