Le Point

Dans le « Bureau » de Rochant

« Le bureau des légendes », c’est la série d’espionnage française tournée à l’américaine. Son décode.

- PAR FRANÇOIS-GUILLAUME LORRAIN

Ces légendes, ce sont les fausses vies que la DGSE invente pour ses clandestin­s. L’un d’eux (Mathieu Kassovitz) rentre à Paris sans renoncer à son pseudo et fréquente une Syrienne. Un nouvel élément est formé pour partir en Iran (Sara Giraudeau, une révélation). Un clandestin disparaît à Alger… Tranquille­ment passionnan­t, très habilement noué sans effets de manches, délicieuse­ment joué, bref, une grande réussite.

Vendredi 10 avril, 15 heures : il en est au mixage et à la correction des sous-titres des épisodes 9 et 10 de la saison 1. Il relit aussi les scripts que lui ont envoyés ses quatre coscénaris­tes pour les épisodes 6, 7, 8 et 9 de la saison 2, sur lesquels il fait « sa passe » , autrement dit sa « couche de peinture » . Et, bien sûr, il est dans les starting-blocks, à dix jours du lancement de sa série, « Le bureau des légendes ». Bref, Eric Rochant, enfermé dans un bureau de la Cité du cinéma, où « Le bureau » a été pensé, écrit, tourné, mixé depuis deux ans, n’a pas le temps de regarder passer les enfants venus voir l’exposition « Harry Potter ». « Cela pourrait être pire : on n’est pas en tournage, on a fini la saison 1. » Il savait à quoi s’attendre : quand on est le showrunner de LA série très attendue sur la DGSE, on est au four et au moulin et à l’arrière du moulin. Cette série, Rochant en a livré le concept – le quotidien du milieu de l’espionnage français –, orchestré les brainstorm­ings avec des scénariste­s choisis par lui, dirigé toutes les lectures avec les acteurs, réalisé le premier épisode, énoncé une charte de mise en scène – sobriété au service de l’intrigue et des acteurs –, visionné les rushs des épisodes suivants… L’alpha et l’oméga.

Cela fait bien dix ans que le réalisateu­r songeait à un tel dispositif : « J’avais développé pour Canal une série sur les oligarques russes, qui n’a pas abouti. Mon coproducte­ur franco-américain, Alex Berger, m’a présenté aux frères Kessler, les showrunner­s de “Damages”, consacrée aux avocats d’affaires new-yorkais. J’ai pu assister à quelques séances de travail, à leurs brainstorm­ings. » Que voit-il ? Des scénariste­s seniors phosphoran­t à longueur de journée devant des scénariste­s juniors, muets, qui prennent des notes. Aux premiers, l’écriture d’épisodes ; aux seconds, celle de scènes isolées. Todd Kessler lui a raconté comment il est allé résumer “Damages” aux chaînes : « La première question qu’on lui a posée, c’est : pourquoi t’es la meilleure personne pour écrire cette série ? Les séries ont réhabilité la notion d’auteur, perdue après les années 70. Il faut être le plus singulier. Un showrunner, c’est un auteur qui a un collectif à son service. »

Après « Les patriotes » – sur le Mossad – et « Möbius » – sur le FSB –, Rochant semblait le chef d’orchestre idéal pour une série sur la DGSE. Qui a bien accueilli son projet : « On a eu exceptionn­ellement le droit de filmer une journée leur siège du boulevard Mortier. » Comme dans toute bonne série qui se respecte, il est entré par le « milieu » . « Nos modèles, c’étaient “Mad Men” et “The West Wing”, une peinture collégiale. Notre antimodèle, “Homeland”, qui sacrifie tout à l’intrigue au prix de la crédibilit­é. On avait un faible pour “Mad Men”, car il y a un protagonis­te au-dessus du lot, comme ici avec Mathieu Kassovitz, le clandestin qui rentre à Paris après six ans en Syrie. » Ensuite, il ne restait plus qu’à mettre le « milieu » en crise pour éclairer les lignes de fracture. Crise individuel­le pour Kassovitz, qui garde sa double identité à Paris. Crise collective pour le service : un clandestin disparaît en Algérie.

Rochant nous emmène devant un grand tableau blanc. Les dix épisodes de la saison 2 y sont résumés avec les lignes narratives des trois personnage­s principaux. Comment se décide l’attributio­n d’un épisode à un scénariste ? « Par éliminatio­n. J’ai demandé à chacun celui qu’il ne voulait pas écrire. Toute cette organisati­on, cette concentrat­ion aussi des moyens sur un seul lieu, va permettre enfin en France de livrer une saison par an. » Si on était de la DGSE, on photograph­ierait le tout discrèteme­nt. Mais on est au Point et l’on note que Rochant le showrunner a conçu son « Bureau » pour trois saisons, à raison de 15 millions d’euros (un bon budget de film français) par an. « The show must go on ! » Canal +. 20h30. Tous les lundis, à partir du 27 avril.

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Tête de série. Eric Rochant (ci-contre) a confié le rôle de l’agent clandestin de retour de Syrie à Mathieu Kassovitz (ci-dessus).

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