Le Point

Un requiem

- PAR MARC LAMBRON

D aniel

Rondeau publie une édition enrichie de son recueil de chroniques « Les fêtes partagées », paru en 1994. Portraits d’écrivains, journées de lecture, carnet de bal littéraire, c’est un compendium d’émotions et de préférence­s. L’auteur du récent « Vingt ans et plus » aimait déjà Vailland et Gracq, Nabokov et Kadaré, Evelyn Waugh et Jorge Amado. En bon détective du présent, il réalisait des instantané­s de Moravia et Borges, Bowles ou Vargas Llosa. Relu vingt ans après, quelle impression suscite ce beau bouquet d’admiration­s ? Celle d’un requiem. Est-ce indifféren­t d’avoir vu mourir Breton en 1966, Mauriac en 1970, Malraux en 1976, Aragon en 1982 ? Conséquenc­e : électrisés par l’après-68, ces jeunes boutefeux auront cultivé des déférences inversées – mais des déférences. Les maoïstes français, dont Rondeau fut, étaient ainsi hantés par les maquis du Vercors et les écrivains de la France libre, Malraux et Gary en tête. Il y avait du surmoi. L’hommage restait une façon d’entrer en littératur­e, on devenait écrivain à l’ombre des grands bouddhas, il fallait suivre le sillon à défaut de pouvoir se comparer.

Ce qui fait que Daniel Rondeau, né en 1948, nous apparaît avec le recul comme l’un des derniers écrivains de la dette. Il le fut aussi comme éditeur, avec les livres de la maison Quai Voltaire, et comme documentar­iste, avec ses films sur la France libre. Comment se déprendre de l’impression que, depuis lors, quelque chose s’est grippé ? Qu’un certain spontanéis­me de l’arasement a érigé en mantra la proscripti­on de la mémoire ? Les écrivains du nouveau roman, dont certains avaient des raisons personnell­es d’éluder la période 1940-1944, se chargèrent les premiers de substituer des paramètres à des narrations. Dans les années 80, on commença à voir des auteurs se targuer de n’avoir rien lu. S’y mélangeaie­nt l’effacement des lignages, l’amnésie comme promesse d’être soi, les effets d’une sociologie haineuse des héritiers, le nombrilism­e de l’autofictio­n. Certains des textes ici rassemblés ont été écrits par Rondeau avant la quarantain­e. On peine à trouver un écrivain français trentenair­e qui explorerai­t aujourd’hui avec pareille ferveur son arbre généalogiq­ue, son musée imaginaire, et paierait ses dettes. Comme si une talibanisa­tion de la mémoire littéraire était en cours, attaquant au marteau piqueur de grandes stèles de papier. Le livre de Rondeau fournit un antidote. Mais ces fêtes partagées nimbent d’une brume grise les parterres du crépuscule « Les fêtes partagées », de Daniel Rondeau (Robert Laffont, 306 p., 20 €).

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Daniel Rondeau.

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