Des nouvelles de Diane Arbus
Un instantané romancé de la vie de la photographe. Saisissant.
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nuit new-yorkaise de juillet 1971, à 21 h 40, Diane Arbus se fait couler un bain d’eau froide. Ce soir-là, sous un néon qui éclabousse la pièce, elle réalisera son meilleur autoportrait, « la photo définitive » . A 5 h 39 du matin, après un long chemin de croix, elle n’a toujours rien déclenché. Omoplates calées contre le robinet, main posée contre le rebord, jambes étendues et légèrement écartées, elle se fixe dans le miroir. A 6 heures, « l’eau est grise de ses peaux mortes », écrit Sandrine Roudeix. Pourquoi ne pas finir comme elles ? Toute la nuit, elle a frôlé son Leica comme une catastrophe. Alors, au lieu d’appuyer sur le bouton noir, « le premier grand oeil de l’intime » , elle se taille les veines. Toute sa vie, Arbus n’eut qu’une obsession : trouver le beau dans le laid. Le photographier. Prouver que la différence n’avait rien de honteux. Elle ne les regardait pas, ces travestis, ces prostituées, ces nains, ces handicapés ; elle les considérait, c’est-à-dire qu’elle les tenait serrés contre elle.
C’est exactement ce que fait Sandrine Roudeix, elle aussi photographe, dans ce livre d’une irradiante délicatesse : faire redescendre une légende du ciel, briser la paroi de verre qui la tenait à distance, redonner à la statue de la chair et du coeur. Dans les biographies officielles d’Arbus, on trouvera une, peut-être deux lignes sur sa fin. Une baignoire pâle de Greenwich Village, une surdose aux barbituriques, un poignet entaillé. Dans « Diane dans le miroir », heure après heure, elle invente, avec une grande sensibilité et une grande acuité, le monologue intérieur d’une héroïne à bout de forces, remontant aux sources de son inspiration, de ses obsessions, de son masochisme. Plus encore qu’un portrait imaginaire, le portrait d’un imaginaire « Diane dans le miroir », de Sandrine Roudeix (Mercure de France, 192 p., 16,80 €).