Le Point

« J’ai un trou noir dans ma vie, mais ce ne fut pas toute ma vie »

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A choisir, plutôt une combattant­e. Mais je me définis surtout comme un « chercheur participan­t » plongé dans une société qu’il ignore. C’est par ce moyen que j’ai analysé Ravensbrüc­k et que je m’en suis sortie. C’est dans ce but que j’ai recueilli tous ces témoignage­s sur les camps et que, dès mon retour, je les ai écrits, à chaud. Je ne suis pas du genre à pleurer sur mes misères.

Marie-José Chombart de Lauwe : Comment avez-vous fait pour vous réinsérer dans la vie à votre retour ?

Revenir fut difficile. En arrivant à Saint-Brieuc et en retrouvant ma grand-mère et mes deux soeurs aînées, j’apprends le décès de mon père. C’est le premier choc du retour. Après, il y eut le regard des autres porté sur nous. Les collègues de ma soeur qui disent : « Ta soeur a l’air si faible que, dans dix jours, elle sera morte. » Les gens étaient consternés par notre aspect physique. Puis la vie quotidienn­e a repris à Bréhat. Chacun nous racontait ses malheurs, mais, pour nous, c’était ridicule. La faim dont ils avaient souffert était tellement décalée par rapport à ce que nous avions enduré. Mais, dès que nous tentions de raconter, nos interlocut­eurs avaient du mal à comprendre. « Ils disent n’importe quoi », affirmaien­t-ils. Une dame très âgée, très pétainiste, a refusé de me recevoir chez elle. « Elle ramène des maladies, disait-elle, car elle a été déportée avec des voleuses, des prostituée­s. Ce n’est pas une éducation pour une jeune fille bien. »

Deux ans après, votre beau-frère, ancien résistant, lâche même : « Si elle rentre en bon état, c’est qu’elle a dû être la maîtresse du commandant au camp… »

Oui, c’est vrai, il l’a dit à mon mari, son frère, qui me l’a répété. Pourtant, il fallait voir à quoi nous ressemblio­ns ! Nous étions squelettiq­ues, avec des plaies, des poux partout… Nous n’étions vraiment pas attirantes, je peux vous dire, pas… baisables. J’ai utilisé ce terme à dessein, un jour, devant les élèves d’un collège difficile de Trappes, pour leur faire comprendre la réalité des camps.

La Résistance, ce fut une entreprise familiale chez vous. Votre mère, votre soeur religieuse et même votre père, pourtant tuberculeu­x, tout le monde s’est engagé… Comment cela s’est-il mis en place ?

Peu à peu. Vous sentez cette haine qui vous entoure, vous subissez l’Allemand oppressif, dominateur… Nous n’avons pas entendu l’appel du 18-Juin, mais nous avons appris le départ des pêcheurs de l’île de Sein pour Londres. Au départ, il n’y eut pas un grand acte d’engagement de notre part, on s’y est mis au coup par coup. On a aidé ceux

 ??  ?? Yvette Marie-José Wilborts au début des années 40, lorsqu’elle s’engage dans un réseau organisé par sa famille. Cahier. Les notes prises quelques mois après son retour de Ravensbrüc­k, où elle consigne ce qu’elle a vécu.
Yvette Marie-José Wilborts au début des années 40, lorsqu’elle s’engage dans un réseau organisé par sa famille. Cahier. Les notes prises quelques mois après son retour de Ravensbrüc­k, où elle consigne ce qu’elle a vécu.
 ??  ?? Résistante.
Résistante.

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