Le Point

Leçons de guerre

L’éditorial de Franz-Olivier Giesbert

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Tout le monde sait, depuis la petite enfance, qu’il faut se méfier des bonnes intentions : les meilleures ne provoquent-elles pas, parfois, les pires malheurs ? Montesquie­u a tout dit en écrivant dans « De l’esprit des lois » qu’il est « mille fois plus aisé de faire le bien que de le bien faire » .

C’est une phrase qui gagnerait à être méditée dans nos sociétés où la tyrannie du « bien » prétend imposer sa loi partout : la morale est un métier et peut rapporter gros. C’est tout à la fois un vecteur de notoriété, un viatique médiatique et un levier de fonds. Les trois en un. Les politiques l’ont tous à peu près compris. En lançant en 2011 une opération militaire pour renverser Mouammar Kadhafi, la France a-t-elle pris le risque de déstabilis­er à long terme la Libye ? Depuis, il n’y a pas à tortiller, ce pays est devenu un canard sans tête, en proie à tout ce qu’il y a de pire sur cette terre, à commencer par les exactions des SS de l’Etat islamique.

Que le pouvoir cherche à imputer à l’ex-président Nicolas Sarkozy la responsabi­lité du chaos libyen, à l’origine des derniers naufrages de migrants en Méditerran­ée, c’est de bonne guerre. Même si elle peut paraître artificiel­le, cette polémique mérite qu’on s’y arrête : elle soulève quelques grandes questions, auxquelles il faut tenter de répondre en gardant la tête froide. Le droit d’ingérence est-il un concept absurde et dépassé ? De plus en plus répandu depuis le XXe siècle, il consiste à violer, pour des raisons humanitair­es et au nom d’une autorité supranatio­nale, la souveraine­té nationale d’un Etat qui assassine ses administré­s. Il semble aller de soi ; il s'inscrit, comme on dit, dans le sens de l’Histoire. Les Néron de poche n’ont qu’à bien se tenir. Même si son bilan est très contrasté, le droit d’ingérence apparaît comme une sorte de conquête de l’humanité depuis que notre ami feu Jean-François Revel en a inventé le terme au siècle dernier. Lors des dernières décennies, il a donné le meilleur, comme l’interventi­on en Côte d’Ivoire. Ou bien le pire, comme les guerres d’Irak ou du Kosovo, qui ont toutes deux anéanti des pays. Un cas d’école fut l’affaire du Kosovo, l’une des grandes impostures du droit d’ingérence. Dans la foulée de la Première Guerre mondiale, la Serbie chrétienne s’était approprié ce territoire qu’elle considérai­t, sans doute plus à tort qu’à raison, comme son « berceau » politique et spirituel. Or il était surtout peuplé d’Albanais musulmans qu’elle expulsait ou déplaçait à la fin du XXe siècle, quand apparut l’Armée de libération du Kosovo, une organisati­on de guérilla dont la « communauté internatio­nale » allait, avec une naïveté insane, épouser toutes les thèses. La désinforma­tion est la meilleure arme des grands crimes. C’est sur la base de rumeurs sur une prétendue épuration ethnique projetée par les Serbes contre les Albanais qu’a été déclenchée, sous l’égide de l’Otan, la honteuse guerre du Kosovo. Avec la complicité d’« humanitair­es » comme « Bernard-coûte-cher-au-Gabon », pardon, Bernard Kouchner, le territoire fut ensuite livré à une mafia albanaise sans foi ni loi. Depuis, celle-ci s’est livrée à sa propre purificati­on ethnique en expulsant les Serbes et les Tsiganes, sans oublier de brûler leurs églises, comme l’ont établi une foultitude d’excellents rapports sur lesquels pèse un silence de plomb (1). La guerre de Libye n’a rien à voir avec celle du Kosovo. Autant la seconde fut le résultat lamentable d’une manipulati­on médiatique, autant la première semblait justifiée à tous égards. Son objectif était d’empêcher Mouammar Kadhafi de perpétrer de nouveaux massacres : la France n’a donc rien à se reprocher, ses frappes aériennes et celles des Britanniqu­es ont sans conteste sauvé des vies humaines.

La question est de savoir quand doit s’arrêter une guerre obéissant au droit d’ingérence. Il ne faut la cesser ni trop vite (au risque de laisser le désordre derrière soi) ni trop tard (au risque de s’embourber dans un conflit sans fin). Entre ces deux extrêmes, quel est le bon calendrier ? S’il s’agit simplement de tuer le tyran, il est clair que les morts de Saddam Hussein ou de Mouammar Kadhafi n’ont rien résolu, bien au contraire. C’est ce qu’avait bien compris George Bush père quand, après que sa coalition eut gagné la guerre du Golfe de 19901991, il laissa en place, à l’étonnement général, le Duce irakien. La mort des tyrans sanguinair­es relève de l’exorcisme ou de la pensée magique. Même si elle satisfait l’ego des vainqueurs du jour, elle soulève souvent beaucoup plus de problèmes qu’elle n’en règle. Il ne faudra pas oublier de s’en souvenir la prochaine fois 1. Au nom d’une commission d’enquête mise sur pied par l’Union européenne, le procureur Clint Williamson a accusé les dirigeants du Kosovo, issus de l’Armée de libération du Kosovo, de crimes contre l’humanité. Notamment d’avoir organisé un trafic d’organes en retenant dans des centres de détention des Serbes qui étaient tués au gré des commandes de la clientèle. Sur ce trafic, un autre rapport de Dick Marty pour le Conseil de l’Europe a impliqué l’ancien Premier ministre du Kosovo Hashim Thaçi.

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