Ville littéraire
Trop longtemps que je n’étais pas allé à un déjeuner littéraire : le 15 avril, le jury du prix Cazes remettait un chèque de 4 000 euros et des tickets repas de 800 euros à Gabriel Matzneff, l’homme couvert de jeunes femmes en passe d’être l’homme couvert de vieux jurés. N’a-t-il pas déjà reçu, en 2013, le prix Renaudot de l’essai ? Au premier étage de Lipp (≈≈≈), qui est la punition des touristes mais qui a une jolie vue sur la place Saint-Germain-des-Prés, dont peu de gens, sauf peut-être quelques érudits japonais, savent qu’elle a désormais pour nom Jean-Paul-Sartre-Simonede-Beauvoir, il y avait tout le monde, je veux dire tout le monde que je connais. Ça a commencé sur le trottoir des fumeurs : Nelly Alard (prix Sagan et prix Interallié) et Jean-François Coulomb, qui vient de faire paraître un roman chez Albin Michel. Il y avait aussi le patron des éditions Albin Michel, qui pourtant ne fumait pas : Francis Esménard. Ainsi qu’Edouard Moradpour, qui a été publicitaire en Russie et est aujourd’hui écrivain en France, ce qui est moins romanesque. Il veut qu’on écrive sur son nouveau livre dans les journaux : « Nous parlions d’amour de peur de nous parler d’autre chose » (Michalon). Voilà, c’est fait.
Le temps, personnage principal de nos vies. Le seul ? Ces silhouettes érudites dans la belle lumière d’un après-midi ensoleillé de printemps. Ecrivains rêveurs, rêveurs écrivains. Tous obsédés par cet objet qui traverse le temps comme une fusée miraculeusement fabriquée dans l’Antiquité : le récit. Lire conserve, écrire contente. Ils ont tous ce visage d’enfant perdu dans la forêt des mots : Mohammed Aïssaoui, du Figaro littéraire, Bruno de Cessole, de Valeurs actuelles, François-Guillaume Lorrain, du Point. Pas eu le temps de demander à Jean-Claude Lamy où il en est de sa biographie de Jean-Edern Hallier. Ni de féliciter Joël Schmidt pour sa formidable biographie de César. Stéphanie des Horts a mangé trop vite : elle devait aller faire son service de presse. Chez Albin Michel. Dont l’ancien vice-président Richard Ducousset était à notre table : enfin un type plus antipathique que moi. Il y avait aussi l’ambassadrice de France au Japon, Florence Godfernaux. Elle est arrivée avec une heure de retard. Heureusement qu’elle n’a pas été élue présidente de la République, on l’aurait attendue beaucoup plus longtemps. Elle était assise à côté d’Eric Neuhoff, qui a rasé sa barbe. Sur la demande de Caroline de Monaco, qui lui a remis l’an dernier le prix Prince-Pierre (15 000 euros et non 50 000, comme l’a regretté le lauréat) ? Comme j’aime la rapidité, la liberté, la dureté de mes amis de jeunesse, qui ne vieillissent pas.
Alain Beuve-Méry, du Monde des livres, et Etienne de Montety, du Figaro littéraire : les deux puissances se souriaient sans se regarder. Alice Déon, beauté brune ultradéonienne, participait à cette absence de cérémonie avec la distance dans laquelle souriait l’ombre de son père, Michel. Il y avait l’académicien Marc Lambron, mais je ne l’ai pas vu, il était dans un angle mort. Il pourrait en dire autant de moi. Est-ce que j’oublie quelqu’un ? Mais oui : le lauréat. Ça semblait être la fête pour tout le monde sauf pour lui. Il était pourtant assis en face d’une belle libraire. Brigitte de Roquemaurel, l’organisatrice de l’événement, était comme d’habitude la grâce et l’élégance incarnées. Secondée de Catherine Couton-Mazet, la grande dame littéraire de Nice, elle a été charmante, même avec ceux qui n’étaient pas invités. Pas de noms