Les migrants remettront l’Europe à flot
Vieillissant, le continent a tout à gagner en accueillant ces populations en quête d’avenir meilleur.
H ieu
Van Le a 23 ans quand il décide, en novembre 1977, de fuir le Vietnam communiste en bateau avec une quarantaine de compatriotes. Deux semaines plus tard, il débarque dans le port de Darwin, en Australie. Après des études d’économie à l’université d’Adélaïde, il travaille pour l’Australian Securities and Investments Commission, l’autorité de contrôle des marchés financiers australiens, puis entame une carrière politique. Le 1er septembre 2014, Hieu Van Le est devenu gouverneur de l’Etat d’Australie-Méridionale. On estime qu’au moins 200 000 boat people vietnamiens périrent en mer entre la fin des années 70 et le milieu des années 80, victimes des gardes-côtes, des pirates et des naufrages. Un million trouvèrent refuge dans les pays occidentaux, alors en pleine crise économique à cause des chocs pétroliers, dont la moitié aux Etats-Unis. Une centaine de milliers furent accueillis en France, où l’opération « Un bateau pour le Vietnam », pilotée par Bernard Kouchner et Yves Montand, bénéficia du soutien du président Giscard d’Estaing et d’intellectuels de tous bords dont la liste fait rêver : Aron, Sartre, Foucault, Lacouture, Barthes, Morin, Revel, d’Ormesson, Ionesco, Clavel, Beauvoir, Glucksmann, BHL…
Quarante ans plus tard, la tragédie des boat people en Méditerranée (20 000 morts depuis 2000) ne semble guère émouvoir nos philosophes, pourtant capables de s’enthousiasmer pour défendre la cause animale ou l’identité française. Laisser se noyer sous nos yeux des milliers de Syriens et Erythréens qui cherchent à fuir le chaos n’est pas seulement un scandale moral de la part d’une Europe qui se targue d’avoir inventé les droits de l’homme. C’est aussi une faute économique dans un Vieux Continent vieillissant qui, dans quelques années, ne pourra plus se déplacer qu’à l’aide d’un déambulateur.
Pour justifier le non-accueil de ces migrants, des belles âmes expliquent que la solution consiste à aider au développement économique des pays d’où ils partent. L’idée, noble et généreuse, est parfaitement irréaliste, ne serait-ce que parce qu’il serait tout de même un peu délicat d’aider financièrement les dictatures de Bachar el-Assad ou Issayas Afewerki. On peut rappeler aussi que l’indice de développement humain de l’Erythrée se situe à 0,351, ce qui place le pays à la 181e place sur 187. Son PIB par habitant était en 2014 de 630 dollars, contre 40 000 dollars en France. Des décennies de très forte croissance ne suffiront pas à combler cet écart, surtout lorsqu’on sait que la croissance en Afrique subsaharienne y est moins efficace qu’ailleurs pour réduire la pauvreté. Au cours de la décennie 2000, une hausse de 1 % du PIB y a entraîné une baisse de 1,36 % seulement du taux de pauvreté, contre 2,4 % en Asie de l’Est et plus de 3 % en Amérique latine.
On entend beaucoup ces derniers temps la célèbre formule de Michel Rocard selon laquelle l’Europe « ne peut pas héberger toute la misère du monde » . Une formule bien pratique pour excuser notre inaction. Mais surtout inepte et réductrice en plaçant l’immigration sous un aspect purement humanitaire et compassionnel. En oubliant que ces miséreux peuvent aussi devenir rapidement des créateurs de richesses dans les pays qui les reçoivent. La défense des droits de l’homme n’est pas incompatible avec le combat pour la croissance. Un réfugié ne reste pas réfugié toute sa vie et, à condition qu’on lui donne les moyens de s’intégrer, il a tôt fait d’entrer sur le marché du travail, de produire, de consommer, bref de faire croître le PIB. En faisant le plus souvent, quoi qu’on dise, preuve d’une énergie et d’une envie de réussir nettement supérieures à celles de la population autochtone.
Ce n’est parce qu’ils sont parfaitement inaudibles qu’il faut s’abstenir de répéter inlassablement les messages des économistes qui ont étudié le sujet. Non, contrairement à ce que disait Georges Marchais il y a trente ans et Marine Le Pen aujourd’hui, l’immigration ne fait pas monter le chômage, non, elle ne fait pas baisser les salaires, non, elle ne plombe pas les finances publiques. Non, enfin, l’Europe n’a pas seulement besoin de migrants hautement qualifiés, mais aussi de migrants peu qualifiés qui acceptent des jobs dont ses citoyens « de souche » ne veulent plus. On rappellera que 330 000 emplois n’ont pas été pourvus en France en 2014 : manutentionnaires, livreurs, cuisiniers, agents de surveillance, aides à domicile…
Selon l’Onu, 500 000 migrants pourraient tenter de traverser la Méditerranée cette année, après 219 000 en 2014, et les demandes d’asile dans l’Union européenne ont atteint l’année dernière le niveau record de 625 000 (dont 123 000 Syriens). Il faut relativiser ces statistiques brandies comme des épouvantails et comme la preuve d’une nouvelle invasion barbare. L’Union européenne ne compte que 4 % de ressortissants venant de pays tiers, contre 13 % aux Etats-Unis et 21 % au Canada. Parmi eux, 38 % sont originaires d’Europe (Turcs, Albanais, Ukrainiens…), 25 % d’Afrique, 21 % d’Asie et 16 % des Amériques. Autre chiffre :
L’Europe a aussi besoin de migrants peu qualifiés qui acceptent des jobs dont ses citoyens « de souche » ne veulent plus.