Le Point

Sanctions économique­s, l’arme fatale

En frappant l’Iran et la Russie au portefeuil­le, l’Occident parvient à dénouer deux crises.

- Par Nicolas Baverez

D epuis

la fin de la guerre froide s’est imposée la théorie selon laquelle les sanctions économique­s, contrairem­ent aux interventi­ons militaires, seraient inefficace­s. Et ce alors même que l’empire soviétique ne s’est pas effondré à la suite d’une défaite militaire mais bien du caractère insoutenab­le et irréformab­le de son système de production. Et ce quand bien même les sanctions internatio­nales, les boycottage­s et les désinvesti­ssements frappant l’Afrique du Sud jouèrent un rôle décisif dans la décision de Frederik De Klerk de mettre fin au régime de l’apartheid et d’engager une transition démocratiq­ue autour de Nelson Mandela.

Mais rien n’a la vie plus dure que les préjugés. Les sanctions économique­s continuent d’accumuler les critiques, accusées de n’avoir aucun effet, voire d’être contre-productive­s par les représaill­es qu’elles suscitent. A l’inverse, le recours à la force armée reste privilégié pour renverser des régimes dictatoria­ux – le dernier en date étant celui de Bachar el-Assad en Syrie – ou pour rétablir la paix civile, comme en Centrafriq­ue.

Aucune des récentes interventi­ons militaires des démocratie­s ne s’est achevée par un succès. L’Occident sait encore entrer en guerre mais ne sait ni la gagner ni imposer la paix. Les EtatsUnis se sont enlisés en Afghanista­n et en Irak, dépensant en vain 1 200 milliards de dollars avant de se retirer en ouvrant un vaste espace aux talibans, à l’Etat islamique et aux ambitions de l’Iran de construire un empire chiite. La chute de la Jamahiriya du colonel Kadhafi à l’initiative de la France a jeté la Libye dans le chaos et l’a transformé­e en sanctuaire du terrorisme islamique, qui gagne l’Afrique et suscite des trafics de migrants en Méditerran­ée qui déstabilis­ent l’Europe. Enfin, l’expédition inconsidér­ée de Centrafriq­ue n’a empêché ni la purificati­on ethnique et religieuse ni la partition du pays.

A l’inverse, force est de constater que les sanctions économique­s, si décriées, sont en passe d’aider à dénouer deux crises majeures avec l’Iran et la Russie.

L’accord de Lausanne, signé le 2 avril entre les grandes puissances et l’Iran, n’a été rendu possible que par les sanctions internatio­nales, qui ont ruiné le régime des ayatollahs et l’ont coupé des Iraniens. La réduction des exportatio­ns de pétrole de 2,1 millions de barils/jour en 2011 à 1,1 million en 2014 a tari les recettes budgétaire­s, assurées aux trois quarts par les taxes sur les hydrocarbu­res. Les filières industriel­les ont été désorganis­ées par la pénurie de pièces détachées et la fermeture des débouchés. Quelque 100 milliards de dollars ont été bloqués à l’étranger. Enfin, le système bancaire iranien a été asphyxié par son exclusion des accords Swift.

Loin d’être vaines, les sanctions économique­s ont eu un effet rapide et radical. La diminution du PIB iranien s’est élevée à 8,5 % entre 2012 et 2014. L’inflation a bondi pour atteindre 30 %. La paupérisat­ion de la population est allée de pair avec l’installati­on d’un chômage structurel qui touche 12 millions de personnes. C’est l’extension de la crise économique et du mécontente­ment social qui a permis l’élection à la présidence de Hassan Rohani en 2013 et interdit de rééditer le truquage électoral de 2009 en faveur de Mahmoud Ahmadineja­d. C’est la crainte d’une contre-révolution en cas de maintien des sanctions qui a contraint Ali Khamenei, le guide suprême de la révolution, à ne pas s’opposer au compromis sur le programme nucléaire iranien.

La crise ukrainienn­e illustre également l’utilité des sanctions internatio­nales. En dépit des déclaratio­ns de Vladimir Poutine, qui minimise leur impact et assure que le pire est passé, la Russie se trouve dans une situation désespérée, qui se traduit par sa rétrograda­tion de la dixième à la seizième place mondiale. L’activité reculera de 4 % cette année et de 2 % en 2016, sur fond d’écroulemen­t de la consommati­on, qui a chuté de 7 % en un an. L’inflation culmine à 17 %. Les fuites de capitaux portent sur plus de 150 milliards de dollars en un an, tandis que les réserves de change ont diminué de 490 à 360 milliards. Les grands monopoles et les banques du pouvoir touchés par les sanctions

En dépit des déclaratio­ns de Poutine, la Russie se trouve dans une situation désespérée.

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