L’essayiste ultralaïque, féministe et antilepéniste baisse la garde pour « Le Point ».
Elle vous reçoit en chaussettes et polo vert guerrier – guerrière, plutôt. Caroline Fourest a-t-elle seulement conscience d’annoncer d’emblée la couleur ? « C’est une warrior », affirme l’avocat Richard Malka, qui a relu avant publication le dernier opus (voir encadré) de cette journaliste plus qu’engagée, celui qui sort ces jours-ci pour « éclaircir les idées » des anti- Charlie. Pour « retrouver le sommeil », aussi, comme elle dit. « Quand les anti- Charlie se sont décomplexés, ça m’a empêchée de dormir », expose la militante de la laïcité qui, depuis presque vingt ans – elle en aura 40 le 19 septembre –, défie les intégrismes et l’extrême droite. « Mon devoir, c’est d’être une lanceuse d’alerte . Ça m’apaise d’agir plutôt que de me sentir impuissante. J’ai le pouvoir de changer le monde plus que les politiques, qui ne sont que des outils. » Ce qui s’appelle être habitée par « un sentiment de responsabilité et d’urgence » – ce sont les mots de notre essayiste-réalisatrice prolifique et pressée.
« Tout mon combat part d’une défense du droit d’aimer. » Le politologue Stéphane Rozès le formule autrement : « Elle a compris que, dans un pays comme le nôtre, il fallait faire avancer la cause homosexuelle à l’abri de la République. Elle fait un mix assez compliqué entre une approche très républicaine de la laïcité et le sentiment qu’elle a d’appartenir à une minorité. » Elle : « Je vis mon homosexualité comme une voie minoritaire vers l’universalisme. » Non sans témérité.
« Je ne connais pas beaucoup de jeunes femmes de son âge qui prennent le risque d’affronter Marine Le Pen et Tariq Ramadan, relève Christophe Bataille, son éditeur. Pourquoi désiret-elle aller au combat contre les pires extrémistes ? Pourquoi se cherche-t-elle des ennemis ? » Elle a une réponse : « L’amour de la vérité ! »
Sa bonne conscience, son talent et sa jeunesse lui valent des haines folles. Fourest a la raideur de la soldate. Ses lèvres minces ont l’air ennuyé. « Tu vas me faire passer pour une fanatique illuminée ! » Les fanatiques, justement, c’est sa spécialité. Ils l’aimantent – oh, elle ne le dirait pas comme ça, mais la fascination affleure tandis qu’elle parle de l’ « intelligence » de Tariq Ramadan, « l’un des pervers narcissiques les plus doués qui soient » . Fascination, aussi, à l’endroit d’Inna, la Femen infernale dont elle est tombée amoureuse et à qui elle a, l’année dernière, consacré un livre touchant de… naïveté. Pour relater sa liaison avec la belle extrémiste blonde qui lui a enfoncé un « pieu dans le coeur » , Fourest-la-cinglante s’est tue. Exit la maturité intellectuelle. Caroline-la-romantique a trempé sa plume dans l’adolescence qu’elle n’a pas eue. La pudique s’est mise à nu. On apprend dans ces pages qu’elle ne porte jamais de soutien-gorge, adore l’adverbe « tendrement » et se définit comme « la femme en tee-shirt, presque l’homme du foyer » .
Dans son « foyer » – un appartement parisien lumineux où pas 1975 Naissance à Aix-en-Provence 1994 Premiers pas dans le journalisme à France 3 1996 Rencontre avec Fiammetta Venner 1997 Elles cofondent la revue « Prochoix » 2003 Elles publient ensemble « Tirs croisés, la laïcité à l’épreuve des intégrismes juif, chrétien et musulman » (Clamann-Lévy) 2004 « Frère Tariq » (Grasset) 2005 Rejoint
Elle quitte le journal en 2009. 2006 «La tentation obscurantiste» (Grasset) 2011 « Marine Le Pen », avec Fiammetta Venner (Grasset) 2014 « Inna » (Grasset) 2015 « Eloge du blasphème » (Grasset) un des nombreux livres ne dépasse dans la bibliothèque et où les zelliges marocains rivalisent avec des tentures balinaises –, il y a « Fiam » . Fiammetta. « [S] a femme », écrit-elle, dans « Inna ». Dix-huit ans que ces deux-là se sont trouvées. « C’est la première fois que j’admirais une intelligence. C’est mon absolutisme. Ma vie n’a plus jamais été la même. J’attendais quelqu’un. Je ne crois pas en Dieu, mais je crois au destin. Fiammetta était mon premier vrai amour. Avant, je n’avais eu que des garçons. Parce que, sinon, il aurait fallu dire la vérité à ma mère. Je ne sais pas mentir. »
A l’été 1996, alors que Fiammetta et elle ne se quittent plus depuis quelques semaines, Caroline va voir sa mère à Aix-en-Provence et lui annonce : « Ma petite amie arrive demain, je suis très amoureuse. » Lorsqu’elle décide de vivre avec Fiammetta, c’est la rupture. Six ans sans se voir. Puis sa mère lui écrit une lettre. « J’ai vu qu’elle avait mûri. J’étais un peu embêtée parce que je vis très bien sans mère. » Elles ne se voient pas souvent. Excessive. Au moment où leur fille a publié le livre sur Inna, les parents se sont inquiétés : « Est-ce que Fiammetta va bien ? » « Je n’ai jamais pensé que je me barrerais, nous expliquait à l’époque Fourest. C’est pour ça qu’il y a eu des tensions avec Inna. J’ai été d’une absolue fidélité aux deux, mais ce n’est pas comme ça qu’Inna peut voir les choses. A 23 ans, c’est impossible. » Fiammetta a compris. « Elle-même est dans cette liberté-là. Quand je suis jalouse, on en rit et on règle le problème. On s’auto-analyse tout le temps. »