Auschwitz et le procureur
Le procès actuel à Lunebourg d’Oskar Gröning, dit « le comptable d’Auschwitz », met un point final à une aventure judiciaire allemande qui a débuté il y a près de soixante ans dans le land de Hesse. Ce sont ces prémices que « Le labyrinthe du silence » retrace dans les moindres détails. Ce récit de la préparation du procès de Francfort, qui se déroula à partir de 1963 pour juger 22 SS ayant sévi à Auschwitz – dont l’adjoint du commandant –, vaut surtout pour le portrait d’une Allemagne crypto-nazifiée, qui n’avait nullement l’intention de rouvrir le dossier des camps et du nazisme. Auschwitz, connais pas ! La machine judiciaire et la police sont encore contrôlées par d’anciens partisans du régime, et les jeunes enquêteurs ont toutes les peines du monde à obtenir leur coopération dans la traque et l’arrestation de criminels qui se croient intouchables. On veut tourner la page, s’amuser, et les témoins eux-mêmes n’ont guère envie de témoigner. Le savoir sur la machine concentrationnaire est proche de zéro, 600 000 dossiers dorment dans les archives américaines – bref, la tâche est titanesque. Lorsque le procureur général, Fritz Bauer, s’attaque au chantier, le procès d’Eichmann à Jérusalem n’a pas encore eu lieu, et seul celui d’Ulm contre des membres des Einsatzgruppen a alerté l’opinion. L’écueil, dans ce genre de reconstitution, est de trop charger la barque romanesque du protagoniste – un jeune procureur, Johann Radmann, croisement de plusieurs personnages –, et le film n’évite pas toujours les maladresses, mais cette page d’histoire reste assez méconnue et passionnante pour ne pas passer à côté de ce réveil moral de l’Allemagne. Car, après le procès de Francfort, plus rien ne fut comme avant outre-Rhin En salles.