Le Point

Le cucul-gnangnan a encore frappé

L’éditorial de Franz-Olivier Giesbert

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En France, si tout va de mal en pis, c’est à n’y rien comprendre : il n’y a pas de problème d’autorité, ni d’identité, ni d’islamisme, ni de productivi­té, ni de surfiscali­té, ni d’insécurité, ni de ségrégatio­n sociale. Nous restons un modèle envié par le monde entier. Véhiculé par les médias, le cucul-gnangnan est la grande maladie française du XXIe siècle. Prônant le nivellemen­t par le bas et s’exprimant sur le mode geignard, cette idéologie du déni s’échine à ne jamais nommer les choses, surtout quand elles crèvent les yeux. Toujours dans l’évitement, elle nous fait chausser des lunettes roses et vivre dans un monde virtuel en nous inculquant la honte de notre passé. Chassez la réalité, elle revient toujours au galop. En ce qui concerne l’économie, le pli est pris : quand elle part en sucette, inutile de réformer, nous n’y sommes pour rien, vive la France, ses 35 heures, les 3 400 pages de son Code du travail et ses pommes de terre frites ! Si notre pays est dans une mauvaise phase économique, c’est la faute à l’Europe, aux Américains, aux Allemands, aux Chinois. Y compris aux immigrés qui nous exploitera­ient sans vergogne. Et que dire de cet infâme social-libéralism­e qui sucerait notre sang ! Avec une mention spéciale pour ces méchants patrons qui se refusent obstinémen­t à créer des emplois. C’est pourquoi la moindre réformette fait, chez nous, autant de charivari qu’une secousse tellurique. Observons ce qui se passe dans l’éducation. Longtemps, nous avons refusé les conclusion­s des études Pisa (1) qui mettaient le doigt sur la baisse continuell­e du niveau de nos élèves par rapport à ceux de la moyenne des pays de l’OCDE, notamment dans le domaine des mathématiq­ues. Et puis, ô miracle, voilà que le Conseil supérieur de l’éducation (CSE), instance consultati­ve liée au ministère, décide de remonter la pente en pondant une grande réforme du collège 2016. Elle partait d’un bon sentiment et, qui plus est, s’imposait. Le tollé est général. La réforme entend pourtant donner plus d’autonomie (sur 20 % du temps passé à l’école par les élèves) aux établissem­ents et surtout aux professeur­s, ces mal- aimés de la République. Ce n’est pas nous qui nous en plaindrons : il est temps de les remettre au centre de l’école, d’où on n’aurait jamais dû les retirer. Que cette autonomie soit, de surcroît, accordée pour l’organisati­on d’enseigneme­nts pratiques interdisci­plinaires, on ne voit pas bien ce qu’on pourrait trouver à y redire. Ce qui pose problème, c’est la philosophi­e mollasse du texte du Conseil supérieur de l’éducation. Une sorte de laxo-pédagogism­e, ennemi de l’effort et de l’élitisme pour tous, que Régis Debray a résumé en une formule appelée à un grand avenir : l' « école Nutella » . Un sous-produit du cucul-gnangnan. Précieux et ridicule est le langage des Trissotin du CSE qui n’écrivent pas nager en piscine mais « se déplacer de façon autonome, plus longtemps et plus vite, dans un milieu aquatique profond standardis­é » . Expéditif et méprisant est leur traitement de l’allemand, qu’ils rabaissent sans le rabaisser, et des langues anciennes, qu’ils suppriment sans les supprimer. La polémique n’aurait sans doute pas pris un tel tour si n’étaient tombés, au même moment, les projets de programmes d’histoire établis par le Conseil supérieur des programmes (CSP), une autre instance consultati­ve. Un festival de cucul-gnangnan, sur fond de masochisme à la française. Pour le CSP, il faut que l’enseigneme­nt du siècle des Lumières soit facultatif alors que celui d’épisodes plus sombres de l’histoire de France (conquêtes coloniales ou traites négrières) doit devenir obligatoir­e. On se frotte les yeux. Dans quelques années, au train où vont les choses, il y aura des cours pour apprendre à se faire pardonner d’être français. Que devient notre « grand roman national » ? Notre légende des siècles ? Le message de la France au monde ? Victor Hugo et Jules Michelet, réveillez-vous, ils sont devenus fous ! C’est Voltaire qu’on assassine et, dans la foulée, Rousseau aussi – mais, c’est moins grave. Nous voici tombés au-dessous du degré zéro de l’ambition. Le grand historien Pierre Nora a tout dit quand il voit là le reflet d’ une « crise identitair­e » , « la plus grande de notre histoire » , ainsi que « l’expression d’une France fatiguée d’être elle-même » (2). En soldate droite dans ses bottes, Mme Vallaud-Belkacem a d'abord soutenu le CSE et le CSP sous le feu des critiques. Mais leurs édits n’ont pas force de loi et la ministre a bien fait ensuite de demander à ses « pédagogist­es » de corriger leur copie, comme on le fait encore dans les bonnes écoles. Puissent-ils y ajouter tout ce qu’il y manque. Le goût de l’excellence et la fierté d’être français 1. Etudes menées par l’OCDE visant à évaluer les performanc­es éducatives de ses pays membres. 2. du 3 mai 2015.

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