Le Point

Lecture assistée (5)

- Patrick Besson

Jean Birnbaum est en léger progrès. Je sens que mes remarques narquoises, dans Le Point, sur son étrange façon d’écrire ont porté leurs fruits, provoqué chez lui une réaction, un sursaut. Dans Le Monde des livres daté de vendredi 24 avril, l’éditoriali­ste semble soudain vouloir tendre vers une fluidité et une clarté chères aux meilleurs stylistes français. Le titre de son « Prière d’insérer » ne manque pas de panache : « Réponse aux Faurisson d’Ankara ». L’image est forte : notre célèbre négationni­ste parachuté sur les rives du Bosphore. On regrettera néanmoins, dans la première phrase de ce qu’on aimerait appeler le nouveau Birnbaum, ou le Birnbaum nouveau comme on dit du beaujolais, une « réalité » qui trouve encore le moyen d’être « accablante » . Cela fait un peu trop longtemps qu’elle est accablante, la réalité, dans les journaux comme dans les livres, mais surtout dans les journaux. Il serait temps qu’elle change d’adjectif. Elle a l’air d’une femme vêtue d’une robe trop longtemps portée.

L’Etat turc refuse de reconnaîtr­e le génocide arménien de 1915. C’est peut-être parce qu’aucun Turc vivant aujourd’hui, à Istanbul ou à Berlin, à Ankara ou à Los Angeles, n’a participé aux abominable­s massacres dont fut victime le merveilleu­x petit peuple d’Arménie. Pourquoi devrait-on s’excuser pour un crime commis par notre grand-père, cinquante ou cent ans avant notre naissance ? Nous ne sommes pas responsabl­es de nos parents, que nous n’avons ni faits ni éduqués. Le Turc de 2015 n’a pas à payer les dettes morales du Turc de 1915, qui n’en faisait qu’à sa tête, ou plutôt à son sabre. C’est en 1915 et dans les années qui suivirent qu’on aurait dû demander des comptes aux massacreur­s d’Arméniens : ils étaient encore vivants. Tabasser quelques centenaire­s turcs n’apportera pas grand-chose à la gloire de la nation arménienne ni aux nombreux Arméniens qui ont, sur toute la terre, répandu leur savoir-faire, leur sérieux, leur énergie et leur charme (voir Charles Aznavour, Henri Verneuil, Valérie Toranian et mon cousin Agop, le mari de ma cousine Josette).

Jean reproche à Faurisson d’être « applaudi dans les meetings de Dieudonné ». Dieudonné n’a jamais fait de meetings : il donne des spectacles. Quand on a depuis si longtemps l’obsession de l’inexactitu­de, comme il est difficile de s’en défaire. Faurisson, qualifié plus loin de « faussaire » . Quelqu’un qui a des idées fausses n’est pas un faussaire : c’est un imbécile s’il ne le fait pas exprès et un salaud s’il le fait exprès, un faussaire étant une « personne qui fabrique un faux » (Larousse). Qu’il est loin, le chemin vers le bon style, c’est-à-dire le mot juste. Mais on avance, Jean. On y arrivera. J’ai confiance. « Ici, le silence des morts est recouvert par le discours des meurtriers. » C’est une jolie phrase, encore qu’on ne voie pas bien l’utilité de recouvrir le silence par un discours, puisqu’un silence, par définition, ne peut être entendu. Mais il y a là une tentative de poésie qui, avec d’autres efforts de simplicité produits par Jean Birnbaum, doit être saluée et encouragée

 ??  ?? Gravure des massacres d’Arménie parue dans « Le Petit Journal », le 12 décembre 1915.
Gravure des massacres d’Arménie parue dans « Le Petit Journal », le 12 décembre 1915.

Newspapers in French

Newspapers from France